Nous publions ci-après une tribune libre de Sarah Jaidi et Alexandre Malric, consultats au cabinet Colombus consulting, relative au Turpe 5, une approche qui résulte notamment d’entretiens avec la direction Stratégie d’Enedis.

> Voir aussi le discours de Philippe de Ladoucette, président de la CRE, prononcé devant les élus membres du conseil d’administration de la FNCCR.

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« Electricité et TURPE 5: Vers une facturation de l’acheminement au « forfait » plutôt qu’à l’énergie consommée?

Dans un contexte énergétique en pleine mutation, les nouveaux usages tels que le développement des véhicules électriques, l’autoconsommation, la gestion des pics de consommation ou encore l’insertion massive d’énergie renouvelable constituent de nombreux défis à relever pour les réseaux électriques dont la mission est d’acheminer l’électricité vers les clients. L’ensemble des nouveaux services issus de la transition énergétique conduiront à des utilisations de plus en plus nombreuses et différentes de la puissance qu’amène le réseau. Alors que le tarif d’utilisation du réseau public d’électricité (TURPE) est aujourd’hui essentiellement basé sur les énergies livrées, et que ces tarifs doivent être modifiés en 2017, comment mieux tarifer les services rendus par le réseau de distribution? Faut-il se diriger vers des tarifs qui deviendraient moins dépendants du volume d’énergie livrée? Avant la délibération officielle du TURPE prévue cet automne, Colombus Consulting partage sa vision après avoir mené des entretiens avec la direction Stratégie d’Enedis.

La distinction entre énergie et puissance
Consommer de l’électricité, c’est bénéficier de plusieurs services à la fois : celui de disposer de la quantité d’énergie nécessaire à nos utilisations et celui garantissant un débit, la « puissance », permettant à un certain nombre d’appareils de fonctionner en même temps. Une fois le réseau mis en place pour fournir cette garantie de puissance, ses coûts ne sont que peu dépendants de l’énergie livrée au client. Il joue pour le client le rôle d’une assurance : celle de pouvoir consommer de l’électricité quel que soit le débit souhaité. Ces principes devraient conduire à rééquilibrer la part «énergie» et «puissance» du tarif réseau, pour éviter de facturer à l’utilisateur son utilisation du réseau principalement en fonction de l’énergie qu’il reçoit. Les conséquences sur le réseau de la transition énergétique invitent très fortement à cette évolution. Dans le monde, une prise de conscience se fait avec de nombreuses études qui vont en ce sens de l’Australie à la Finlande, en passant par l’université d’Oxford ou les USA.

Les réseaux électriques: «un rôle de garantie de puissance» à refléter par le TURPE
A l’heure où les modes de consommation alternatifs se développent, le réseau électrique rend un service qui se rapproche de celui d’une assurance : comme évoqué, il assure d’accéder à l’électricité si besoin est, à domicile, avec le débit souhaité. Pour fournir ces services, les gestionnaires de réseaux de distribution assurent une couverture géographique ainsi qu’un dimensionnement des équipements qui représentent une part importante de leurs coûts : il faut créer, entretenir ou réparer rapidement des lignes présentes sur tout le territoire français.

Pour le client final, «l’acheminement» représente environ un tiers de la facture d’électricité (40% pour les entreprises, et 30% pour les particuliers), indiqué aux lignes «consommation» et «abonnement» de la facture. Et aujourd’hui, en moyenne, cette part «acheminement» se retrouve pour 70% facturée à proportion de l’énergie consommée. Cette répartition est fixée par la Commission de régulation de l’énergie (CRE), autorité publique indépendante qui veille au bon fonctionnement du marché de l’énergie et définit le TURPE. La CRE le réexamine actuellement pour déterminer un nouveau tarif qui entrera en vigueur à l’été 2017.

A cette occasion, plusieurs acteurs du marché de l’électricité, au premier rang desquels les gestionnaires de réseau, comme Enedis, les entreprises locales de distribution (ELD) et RTE, se sont adressés à la CRE. Ils souhaitent voir rééquilibrer le TURPE dès 2017 pour qu’il pèse moins sur l’électricité consommée et d’avantage sur l’abonnement, afin de mieux tarifer les services rendus par le réseau, en particulier le service de «garantie de puissance.»

La CRE conserve une approche qui reste centrée sur une facture réseau au volume de consommation
Les scénarios présentés par la CRE dans ses consultations publiques ne privilégient pas la prise en compte de ce rôle assurantiel pour 2017 mais prévoient d’autres évolutions telles que :

 L’horo-saisonnalisation, c’est-à-dire une plus grande variation des prix en fonction des heures et des saisons, rendue possible par l’arrivée des compteurs évolués (Linky mais également les compteurs PME-PMI et SAPHIR). Cela permet d’inciter le client à répartir sa consommation de manière à diminuer les pics de consommation sur le réseau, notamment en hiver.

 Une nouvelle répartition des factures entre professionnels et particuliers selon une révision de leurs coûts pour le réseau.

L’évolution en faveur d’une tarification davantage tournée vers la puissance, demandée par les gestionnaires de réseau en France, s’inscrit dans une dynamique européenne (Espagne, Pays-Bas, Italie, etc.). De plus, il ressort de ces exemples étrangers qu’ils ont su rendre acceptables les effets issus de cette évolution : augmentation ou diminution de la facture selon les clients. Dans le cas des Pays-Bas, cela a pu se faire grâce à une coordination poussée entre autorité indépendante de régulation et gouvernement qui a mis en place des dispositions pour neutraliser les impacts sur les clients les plus touchés.

Enfin, un des principaux objectifs de la transition énergétique est l’amélioration de l’efficacité énergétique. Vue du consommateur, celle-ci doit se traduire par des baisses de factures finales qui résultent d’une baisse des volumes d’énergie consommés. Une proposition mise en avant par Enedis est d’associer une saisonnalité renforcée, prévue par la CRE, au rééquilibrage entre parts forfaitaire (puissance) et variable (énergie) des tarifs de distribution. Elle permettrait de combiner l’action sur les comportements au quotidien (prix à l’énergie acheminée) pendant des heures ciblées, et celle sur le dimensionnement des équipements installés par le client (prix à la puissance).

Selon, une publication de l’Union française de l’électricité (UFE) qui représente les employeurs du secteur au sein de la branche des industries électriques et gazières, le TURPE doit être un vecteur de la transition énergétique : «En véhiculant un signal prix de la puissance, le TURPE incitera davantage les clients à caler au plus juste leur puissance souscrite, grâce aux facilités apportées par Linky. Cela contribuera à la limitation des appels de puissance lors des périodes de pointe et donc à moindre utilisation des moyens de production d’électricité les plus carbonés.» Cette posture, partagée par un grand nombre d’acteurs de la transition énergétique, ne manquera pas d’alimenter les débats voire de modifier la perception des consommateurs sur l’évolution de leur facture… »

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