Nous publions ci-après une analyse de Mounir Meddeb, Avocat à la Cour (cabinet Energie-Legal), sur la loi de la transition énergétique présentée au printemps :

Une loi ne pourrait pas fonder la décision de fermer une centrale nucléaire pour des raisons politiques

La loi sur la transition énergétique est en cours d’élaboration et devrait être présentée en Conseil des ministres au printemps prochain.

Un plan commenté du projet de loi a été publié, duquel il ressort que le titre 1er rependra « les objectifs tendanciels de long terme de la transition énergétique, à savoir: […] la réduction de la part du nucléaire à 50% à l’horizon 2025 ».

Dans ce cadre et compte tenu de l’engagement du Président de la République, c’est la centrale de Fessenheim qui devrait être fermée en premier.

Cet engagement a été rappelé par le Président de la République lors de la conférence environnementale du 20 septembre 2013 « Je rappelle que la centrale de Fessenheim sera fermée d’ici fin 2016 ».

Dès lors, la question se pose quant au fondement juridique permettant de décider et de procéder à la fermeture de cette centrale.

D’aucuns ont indiqué qu’une loi est nécessaire pour s’y faire.
Toutefois, une loi permet-elle réellement de le faire ?

A. Les fondements de la décision de fermeture d’une centrale nucléaire

Dans les débats concernant la fermeture de la centrale de Fessenheim, trois fondements sont souvent avancés :
– Des fondements économiques ;
– Des fondements liés à la sécurité ;
– Des fondements politiques.

Pour ce qui concerne le premier fondement, l’exploitant peut, sous réserve de ses engagements contractuels, décider de procéder pour des raisons économiques à l’arrêt voire à la fermeture d’une centrale.

Cela est d’autant plus le cas qu’EDF est désormais une société privée.

En sa qualité d’actionnaire majoritaire (84,44%), l’Etat pourrait obtenir une telle fermeture.

Dans ce cas, une loi serait inutile, une telle décision relevant du fonctionnement interne de l’exploitant EDF et doit s’effectuer conformément aux termes de ses statuts et procédures.

Il y aurait néanmoins lieu à veiller à ce qu’une telle décision ne soit pas qualifiée d’abus de majorité.

Pour ce qui concerne les fondements liés à la sécurité
Il s’agit de fondements dont l’appréciation et la décision quant aux conséquences qui pourraient en être tirées ont été confiées à l’Autorité de Sûreté Nucléaire.

Si l’ASN considérait que des motifs sérieux sont de nature à fonder une décision de fermeture et de démantèlement de la centrale de Fessenheim, cette décision doit, sous réserve des voies de recours prévues, aboutir à la fermeture de ladite centrale.

Or, l’ASN a autorisé la prolongation du fonctionnement de la centrale de Fessenheim pour une durée de dix ans sous réserve de la réalisation de prescriptions fixées par l’ASN.

Dès lors, que les prescriptions susvisées ont été exécutées conformément aux modalités précisées par l’ASN et qu’aucun élément nouveau ne viendrait modifier la décision de l’ASN, la fermeture de la centrale de Fessenheim ne peut être ordonnée pour des motifs liés à la sécurité.

Demeure, la fermeture pour motifs « politiques ».
Dans une récente déclaration, M. Jean-Michel Malerba, nouveau délégué général pour la fermeture de Fessenheim, a indiqué qu’un troisième motif de fermeture pourrait être la politique énergétique, à l’initiative de l’Etat… la réduction de la part du nucléaire à 50% à horizon 2025 relève de la politique énergétique.

Par ailleurs, dans une interview accordée au Journal du Dimanche, M. Philippe Martin a indiqué que « La loi sur la transition énergétique prendra les dispositions pour que cette fermeture soit effective. Il est temps que les responsables politiques reprennent la main sur les décisions énergétiques de la France ».

Dans l’esprit de M. Malerba et de M. Martin, il semble paraître évident qu’une loi est de nature à permettre la fermeture d’une centrale nucléaire pour des motifs autres que la sécurité.
Rien pourtant ne semble moins évident.

B. La loi ne pourrait pas imposer la fermeture d’une centrale de nucléaire

Qu’une loi régisse les modalités d’une fermeture d’une centrale nucléaire et de son démantèlement pour des raisons liées à la sécurité, cela n’est pas contestable.
En revanche, ce qui est contestable, est qu’une loi décide de cette fermeture pour des motifs autres que la sécurité.
En effet, une telle loi viendrait ordonner la destruction d’un actif industriel, propriété d’une société privée pour des motifs politiques.

L’Etat est décisionnaire en matière de choix stratégiques concernant la politique énergétique en général et le mix énergétique en particulier.

A ce titre, l’Etat peut réorienter ses efforts en matière de financement, de recherche et développement ou de soutien vers telle ou telle filière.

L’Etat peut également accroitre les conditions pour autoriser la construction d’une centrale nucléaire ou même décider que, désormais, aucune autorisation ne sera octroyée pour la construction de telles centrales.

En revanche, par le biais d’une loi, l’Etat ne pourrait ordonner la fermeture d’une centrale parce que le mix énergétique doit être recomposé.

Une telle loi irait en effet à l’encontre du droit même de propriété tel que garanti constitutionnellement.

En effet, l’article XV II de la déclaration des droits de l’homme dispose que « La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité ».

Or, cette nécessité publique n’est pas démontrée.

Le droit prévoit des cas, exceptionnels, dans lesquels l’Etat peut porter atteinte à la propriété privée.
Tel est le cas notamment de l’expropriation pour cause d’utilité publique.

En l’espèce, l’utilité publique est absente.
En tout état de cause, si la nécessité ou l’utilité publique ont trait à la sécurité, cela relèverait de la sécurité, aspect sur lequel l’ASN s’est déjà prononcée.

Nous pouvons également penser aux politiques de destruction de navires, véhicules, etc. Toutefois, ces destructions ne sont jamais ordonnées mais obtenues par le biais de dispositifs fiscaux et d’aides publiques.

Dès lors, si une telle loi devait être adoptée, il y a lieu de s’interroger sur sa constitutionnalité, au regard notamment au respect du droit de propriété.

C. L’exemple allemand
L’Allemagne a décidé de fermer immédiatement ou progressivement les centrales nucléaires en activité.
La plupart des décisions de fermeture ont été contestées devant les cours fédérales, la Cour constitutionnelle, la Cour de justice de l’Union européenne ou devant des instances d’arbitrage.
Ces procédures sont encore en cours. Toutefois, une première décision a été rendue par la Cour administrative fédérale de Leipzig jugeant que la fermeture provisoire de la centrale nucléaire ordonnée par l’Etat fédéré de Hesse était illégale.
L’analyse de cette décision devrait être intégrée dans les réflexions actuelles sur la fermeture de Fessenheim.

D. La suite
Une loi ne doit être le fruit, ni d’un coup de force, ni d’un coup de poker.
Compte tenu des engagements politiques susvisés, la loi à venir sur la transition énergétique devrait comporter des dispositions quant à la baisse de la part du nucléaire et la composition du mix énergétique sans pour autant viser spécifiquement la centrale de Fessenheim. Au demeurant le plan commenté publié ne s’y réfère pas.
En revanche, toute éventuelle fermeture de la centrale de Fessenheim ne pourra résulter en réalité que d’une négociation entre l’Etat et EDF, permettant au premier d’affirmer avoir obtenu l’enclenchement de la fermeture de cette centrale comme le Président de la République s’y est engagé et permettant à la deuxième d’obtenir, outre une indemnisation nécessaire, des contreparties dans d’autres dossiers.

Une telle négociation aurait pu ou pourrait avoir lieu indépendamment de toute loi à venir.

Mounir Meddeb, Avocat au Barreau de Paris, fondateur d’Energie-legal, cabinet d’avocats dédié secteur de l’énergie