Nous publions ci-après une tribune libre de Rémi Brandini, responsable marketing du site comparateur d’offres Jechange.fr.

« Électricité : Linky seul ne suffira pas à doper la concurrence entre fournisseurs

Combien de Français croient encore que l’opérateur historique EDF est le seul recours possible pour être relié au réseau d’électricité ? Combien ignorent que les tarifs réglementés ne constituent pas un horizon indépassable, et qu’ils peuvent s’attendre à des économies très intéressantes en souscrivant à une offre libre chez un fournisseur alternatif ? Sans doute un grand nombre, à en croire le dernier rapport annuel de la Cour des comptes : l’ouverture à la concurrence du marché de l’électricité, effective pourtant depuis près de huit ans, tarderait cruellement à produire ses effets.

Les comptables de la rue Cambon, cependant, espèrent une franche intensification de la concurrence grâce au fameux compteur communicant Linky, qui pourrait permettre aux nouveaux fournisseurs de connaître les habitudes de consommation des clients et de leur proposer d’alléchantes formules d’abonnement sur mesure. Ce pari est-il réaliste ? Et ne faudrait-il pas envisager, en complément, des mesures plus efficaces et radicales ?

Ouverture à la concurrence : un constat d’échec sans appel

A l’inverse des gros sites industriels, pour lesquels la réglementation tend à supprimer progressivement les tarifs réglementés, les particuliers et les petites et moyennes entreprises continuent à rester massivement fidèles à ce mode d’abonnement. Au 30 juin 2014, la Cour des comptes note que seuls 9% des 31 millions de sites recensés ont sauté le pas et ont souscrit à une offre sur le marché libre, pour 6,7% de la consommation totale à peine ! On notera que ces quelques pionniers ont fait quasiment tous le choix de quitter EDF : l’opérateur historique, en effet, et bien qu’il propose lui aussi des offres en tarif libre, ne fait pas l’effort de les rendre attractives et n’a su séduire pour l’instant que 5000 clients avec une formule de ce type…

Pour beaucoup d’observateurs du marché, il est difficile d’expliquer la fidélité des consommateurs par autre chose qu’une certaine méconnaissance, ou tout simplement par une tendance à la léthargie. Les tarifs réglementés, de fait, n’ont rien d’un tarif social ou particulièrement avantageux. La transition vers une offre libre, bien au contraire, permet de réaliser des économies de l’ordre de 5 à 10 % sur la facture d’électricité, et ce différentiel devrait devenir de plus en plus criant dans les prochaines années au vu des coûts croissants et de la gestion menée au sein d’EDF (politique salariale, investissements…), un autre problème d’ailleurs régulièrement relevé par la Cour des comptes ou la Commission de Régulation de l’Énergie…

Linky, l’ambitieux compteur communicant d’ERDF

Après une première phase de test réussie dans certaines communes de la région lyonnaise ou en Touraine, les premiers compteurs « Linky » vont être déployés à compter de l’automne 2015. A l’horizon 2020 ou 2021, près de 35 millions de ces appareils à la couleur jaune canari devraient remplacer l’intégralité des compteurs existants au sein de tous les foyers français.

Le principe ? Un relevé quotidien et automatique de votre consommation, envoyé à votre distributeur par ondes radio ou GSM. Avec, à la clé, de nombreux services qui pourront voir le jour, comme le suivi en temps réel de votre consommation sur Internet, des interventions à distance sans technicien ou encore une facturation systématique sur la base de votre consommation réelle.

La Cour des comptes enthousiaste sur les potentialités de Linky…

Le compteur intelligent Linky va-t-il s’ériger en grand sauveur de l’ouverture à la concurrence sur le marché de l’électricité ? La Cour des comptes ne semble pas loin de le penser. Non pas parce que cet appareil rendrait subitement les fournisseurs alternatifs encore plus compétitifs, mais tout simplement parce qu’il leur permettrait de mieux connaître les habitudes de consommation de chaque foyer, et donc de mieux cibler les offres promotionnelles qu’ils leur soumettront à l’avenir.

Le rapport indique notamment que les « offres commerciales pourront être adaptées au profil de consommation des ménages, sur le modèle des tarifs heures pleines/heures creuses » déjà pratiqués par EDF. Et le document table même, sans précision, sur l’apparition progressive de « fonctionnalités complémentaires », qui permettront aux concurrents de se démarquer de l’opérateur historique.

Les faits semblent déjà donner raison, au moins en partie, à la Cour des comptes. Parmi les rares foyers déjà dotés d’un compteur Linky, environ 2000 ont ainsi souscrit à une offre spécifique du fournisseur Direct Energie, qui permet à chaque client de sélectionner en toute liberté ses heures creuses.

…à quelques réserves près !

Pour avoir un quelconque effet sur l’ouverture à la concurrence, le compteur Linky devra toutefois lever un certain nombre d’obstacles sur sa route, listés par la Cour des comptes. La première réserve concerne bien sûr la question du financement : cinq milliards d’euros ont été budgétés par ERDF pour mener à bien la phase de déploiement et la première période d’utilisation de l’appareil, jusqu’en 2034. Difficile encore de dire si cet effort financier sera à la hauteur des ambitions.

Il conviendra, aussi et surtout, que chaque fournisseur puisse bénéficier des mêmes informations issues du compteur, et que le distributeur ERDF respecte donc strictement l’obligation de neutralité à laquelle il est tenu. En ce sens, on peut s’attendre à une prochaine décision de l’Autorité de la concurrence semblable à celle déjà rendue le 9 septembre 2014 pour le secteur du gaz naturel, et qui obligeait GDF Suez à partager ses fichiers clients abonnés au tarif réglementé avec la concurrence.

Linky est intéressant mais insuffisant pour libérer le marché de l’électricité

La généralisation des compteurs Linky, si elle s’accompagne d’un meilleur niveau d’information pour les fournisseurs, aura sans doute un effet bénéfique sur l’ouverture à la concurrence du marché, puisque davantage de clients se laisseront alors séduire par des formules qui correspondent parfaitement à leur profil. Il est toutefois prévisible que de nombreux autres consommateurs conserveront leur abonnement actuel, voire même s’opposeront, pour des raisons compréhensibles, à la communication de leurs données de consommation à d’autres fournisseurs.

C’est la raison pour laquelle une concurrence plus affirmée pourra passer par d’autres mesures, pour la plupart déjà mises en avant par la Cour des comptes ou l’Autorité de la concurrence, avec par exemple une meilleure différentiation du logo ERDF, voire un changement complet du nom du distributeur, ou encore le lancement de nouvelles campagnes de communication par les pouvoirs publics.

Ultime piste, plus radicale et polémique : la suppression pure et simple, à terme, des tarifs réglementés de l’électricité. Cette solution, officiellement appuyée par l’Autorité de la concurrence dans un avis du 18 avril 2013, ne serait en tout cas pas une première en Europe : l’Allemagne et le Royaume-Uni, notamment, ont déjà emprunté ce chemin. L’Italie, de son côté, vient d’annoncer la même mesure, qui devrait entrer en vigueur en 2018…

Rémi Brandini »