Nous publions ci-après un entretien avec Jérôme Ferrier, président de l’Union internationale du gaz et également président de l’Association française du gaz, dans la perspective du prochain congrès mondial du gaz, en juin 2015.

« Dans quel contexte s’inscrit ce nouveau congrès du gaz ?

Jérôme Ferrier: Du 1er au 5 juin 2015, Paris accueillera la communauté mondiale de l’industrie gazière à l’occasion du 26ème Congrès mondial du gaz. L’édition 2015 de cet événement triennal s’inscrit dans un contexte exceptionnel pour la France, centre d’excellence pour l’énergie que l’on peut considérer aujourd’hui comme le hub européen de la transition énergétique.

Je suis président de l’Union internationale du gaz, avec les nombreux déplacements à l’étranger que cela implique. Et cela m’amène à une conclusion évidente : le gaz connaît un développement sans précédent dans le monde.

L’Asie-Pacifique en est un exemple symptomatique.

Saviez-vous que l’Australie compte sept projets de gaz naturel liquéfié (GNL) en cours de développement ? Cela représente un investissement total de 200 milliards de dollars australiens (environ 130 milliards d’euros) pour une livraison prévue entre fin 2015 et mi-2019. Avec l’aboutissement de ces projets, l’Australie deviendra tout simplement le premier pays exportateur de GNL du monde devant le Qatar ! La Chine est également en pointe pour ce qui est du développement du gaz. Ainsi, à l’horizon 2040, la Chine deviendrait le premier pays consommateur de gaz de la planète, devant les Etats-Unis. Moscou vient d’ailleurs de signer un important contrat avec Pékin portant sur près de 40 milliards de mètres cubes par an livrés par gazoduc depuis la Sibérie orientale.

Sur les autres continents, le constat est le même : grâce à leur exploitation du gaz de schiste, les Etats-Unis vont devenir exportateurs de GNL dès cette année.

Le seul point noir, il faut l’avouer, c’est l’Europe. C’est le seul continent à ne pas avoir encore admis que le gaz est le seul combustible fossile avec de bonnes perspectives pour l’avenir, parce que le gaz est abondant, accessible et abordable, et qu’il est la seule des énergies fossiles acceptable d’un point de vue environnemental. Le monde reconnaît aujourd’hui au gaz naturel un rôle prépondérant en raison de ses qualités. L’Europe s’obstine, sous couvert d’équilibre des énergies, à développer le charbon. L’absence de politique européenne est fatale autant en matière de compétitivité de nos entreprises que de protection de l’environnement.

Aussi, dans un contexte d’évolutions radicales du secteur énergétique mondial, le Congrès offrira une opportunité unique pour aborder les principaux défis de l’industrie gazière, notamment la sécurité des approvisionnements, le rôle du gaz dans la transition énergétique, le développement de nouvelles technologies et leur mise en œuvre ainsi que les progrès réalisés pour tendre vers un mix énergétique mondial équilibré.

Des milliers de délégués internationaux du réseau de l’énergie, des décideurs politiques et des cadres dirigeants des grandes entreprises du gaz participeront aux débats pour discuter de l’avenir de l’industrie gazière et répondre aux préoccupations du moment : comment assurer la sécurité énergétique, l’équité sociale et l’atténuation de l’impact environnemental. Notons d’ailleurs que le thème du Congrès de cette année est: « Se développer ensemble en protégeant la Planète ».

L’essor des gaz de schiste concerne pour l’instant quatre pays. Dans quels autres pays, l’extraction commerciale pourrait-elle commencer et à quelle échéance?

Jérôme Ferrier: Quatre pays en Europe ont décidé de se lancer dans l’exploration et la production des gisements de gaz de schiste (le Royaume-Uni, la Pologne, le Danemark et la Roumanie) et plus d’une vingtaine de pays dans le monde. Seuls les Etats-Unis sont passés à un stade de développement intensif, les autres étant plutôt à un stade d’expérimentation préalable à la phase d’exploitation. D’autres pays européens évoquent la possibilité de permettre l’exploration des zones prometteuses et notamment l’Allemagne qui a pris récemment position sur ce sujet.

Les flux de GNL vers l’Asie sont-ils amenés à se réduire avec un redémarrage du nucléaire au Japon ou bien la demande continuera-t-elle d’être soutenue?

Jérôme Ferrier: Depuis la catastrophe de Fukushima en mars 2011 et l’arrêt de tous les réacteurs nucléaires du pays, le Japon achète environ un tiers des quantités mondiales de GNL commercialisées. Le redémarrage de la génération électrique à partir du nucléaire est programmé afin de soulager la balance énergétique du Japon, mais celui-ci risque d’être long et rien ne garantit aujourd’hui que le Japon souhaite miser à nouveau et de la même manière sur l’énergie nucléaire. On parle au Japon de la remise en route de quelques réacteurs mais l’inquiétude de l’opinion reste forte et les autorités politiques devront en tenir compte.

Au-delà du Japon, d’autres consommateurs traditionnels vont amplifier leur demande de gaz comme la Corée du Sud et les nouveaux acteurs que sont la Chine et l’Inde qui deviendront prépondérants dans les prochaines années. La demande continuera donc à être soutenue dans cette zone.

La fermeture des centrales gaz en Europe, sous pression des centrales au charbon, est-elle durable ou bien voyez-vous des possibilités de reprise?

Jérôme Ferrier: C’est une question de cohérence et de responsabilité pour l’Europe. Lorsque vous affichez des objectifs très ambitieux de réduction des émissions de CO2, vous devez vous donner les moyens de les atteindre.
Or, alors même que la part des énergies renouvelables augmente de manière significative dans le mix énergétique européen, les émissions de CO2 ont augmenté à cause des consommations de charbon à la hausse notamment en Allemagne et en Pologne.

Je le confirme : le gaz naturel est la seule énergie fossile en mesure d’accompagner le développement des énergies renouvelables. La Commission européenne devrait rapidement contraindre les consommations de charbon dans la génération électrique au profit du gaz qui présente le double avantage de disposer de centrales au gaz prêtes à être utilisées et d’émettre deux fois moins de CO2 qu’une centrale au charbon, et de stockages souterrains existants en capacité de compenser l’intermittence des renouvelables et la sécurité d’approvisionnements défaillants.

Les prix du gaz sont actuellement bas: est-ce là aussi une situation durable?

Jérôme Ferrier: Les prix du gaz sont en partie liés aux prix des produits pétroliers. La chute de 50% du prix du baril de pétrole a entrainé une diminution des prix du gaz sur les marchés de gros, mais de manière contrastée. Elle a été significative pour le prix du gaz spot en Asie passé de 15-16 USD/MMBtu à moins de 10. Cette baisse a été moins sensible en Europe dont le prix est passé de 9 à 7,5 USD/MMBtu.

Aux USA le prix du gaz certes très bas (de l’ordre de 3,5 USD/MMBtu) a légèrement augmenté à 4,2USD/MMBtu avant de baisser à nouveau à la sortie de l’hiver. Cet effet de hausse temporaire peut s’expliquer par un certain ralentissement du développement du gaz de schiste. Nous ne voyons pas le prix du baril se maintenir à des niveaux durablement bas de nature à freiner les nouveaux développements, se traduisant à terme par une tension sur l’offre entrainant à nouveau une hausse des prix.

Le gaz naturel peut contribuer à stabiliser le marché de l’énergie, à réduire les émissions de CO2 et à renforcer la sécurité des approvisionnements à travers le monde. Pour y parvenir, il est nécessaire d’investir, d’innover et de recueillir le soutien des pouvoirs publics. En 2015, grâce au Congrès Mondial du Gaz et à la COP21, qui se tiendra également à Paris, nous devrions être en mesure d’accomplir des progrès significatifs dans tous ces domaines. »