Peut-on débattre sereinement des gaz de schiste? La réponse est non tant les approches sont tranchées et le débat Bip-Enerpresse du mardi 17 décembre 2013, fort civil au demeurant, l’a encore montré.

Le panorama est désormais connu et Olivier Appert, président de l’IFP énergies nouvelles, l’a rappelé: les Etats-Unis sont devenus le « premier producteur mondial de liquides », le premier producteur de gaz, les gaz non conventionnels ont fait drastiquement baisser le prix du charbon qui s’exporte massivement en Asie et en Europe (où l’on a fermé 50 GWh de centrales à gaz, en raison de la rentabilité retrouvée des centrales à charbon), les trois marchés étant désormais totalement déconnectés, la chimie américaine se porte fort bien. Le fait nouveau, c’est que le gaz de schiste se heurte désormais aux Etats-Unis à « un problème de débouchés », auquel peu de réponses sont aujourd’hui apportées – à l’exception du projet de construire des stations au GNL tous les 50 kilomètres. Et de l’exportation du GNL à compter de 2016.

Et en France? Prudent, Olivier Appert se garde bien de prendre position, soulignant cependant que le déficit énergétique de la France représente 79 milliards d’euros par an, à 99% dû aux importations de pétrole et de gaz. Dans la salle, très gazière, des murmures se font entendre.

Auteur du Mirage du gaz de schiste, Thomas Porcher, professeur à l’ESG-management school et à l’Université Paris-Dauphine, a une approche très différente. L’impact sur les prix est avéré aux Etats-Unis, avec ses bénéfices pour l’industrie. Mais sera-t-il le même ailleurs? Non, car la situation américaine est spécifique et que les coûts d’extraction seront plus élevés partout ailleurs, en Europe, en Chine, en Argentine… La structure du marché européen, avec des contrats à long terme, ne serait que peu impactée par l’émergence de gaz non conventionnels, laissant la chimie avec ses problèmes de compétitivité irrésolus. Réclamant des études sur le sujet (« il n’y en a pas, ou alors elles ne sont pas publiées. Et si l’impact sur les prix était faramineux, il aurait été rendu public. »), il souligne le caractère éphémère du boom de schiste. Aux Etats-Unis, à la différence de la Norvège, personne ne place l’argent des hydrocarbures dans un fonds pour les générations futures (« c’est la logique de l’actionnariat privé »). Et, surtout, la machine tourne à pleine capacité, alors que les pays de l’OPEP conservent de la marge de manoeuvre: « s’il manque un million de barils par jour, les Etats-Unis ne pourront pas les aligner. L’Arabie Saoudite, oui. » Et les bouleversement géopolitiques annoncés n’auront pas lieu: dans 20 ans, l’OPEP aura retrouvé son pouvoir.

Directrice de la branche Energie de l’IFRI, Cécile Maisonneuve évoque les cas, assez proches, de la Pologne, du Royaume-Uni et du Danemark. Face aux hydrocarbures non conventionnels, les politiques menées sont similaires mais les objectifs qui les déterminent sont différents. Pour la Pologne, « pays charbonnier », il s’agit d’échapper le plus possible à la dépendance du gaz russe. Pour le Danemark, « où l’on parle surtout des éoliennes », l’enjeu est de financer la transition énergétique, mais aussi de faire vivre un secteur industriel. Dans tous les cas, il s’agit « de retrouver des marges de manoeuvre. » Ce que l’Europe n’a pas su faire. « En 2008, on se disait que la croissance verte allait nous sortir de la crise. En 2013, on a compris que la croissance verte supposait de la croissance tout court. » Elle plaide pour une « politique crédible » de l’Europe, qui lui permettrait de réussir la Conférence de Paris, celle de Copenhague ayant été un échec.

Dans la salle, les murmures ont fait place aux questions ou réflexions. « Vous ne croyez pas ce que vous dites! », lance-t-on à Thomas Porcher. Lequel rappelle les « externalités négatives. » Pour Olivier Appert, l’Amérique des gaz de schiste, « ce n’est ni Germinal, ni Gasland. » Et Cécile Maisonneuve de conclure: « les Etats-Unis avaient un problème avec le charbon. Ils l’ont résolu par la technologie. Il ne faut surtout pas raisonner dans un monde figé… »

Si vous vous ennuyez à Noël, lancez la conversation sur les gaz de schiste et éclipsez-vous discrètement.