Dans une longue intervention (1h15 non stop, pratiquement sans notes) devant la presse, Jean-Cyril Spinetta a réagi à la publication par Les Echos des observations du pré-rapport de la Cour des comptes, critiquant sévèrement la gestion du groupe par Anne Lauvergeon. Publication dont la Cour des comptes a estimé qu’elle « se réfère à des observations provisoires et confidentielles effectuées à l’issue d’une enquête qui n’est pas encore achevée. »

« Je ne m’y retrouve pas du tout! » s’est exclamé l’ancien président du Conseil de surveillance d’Areva, évoquant largement le dossier controversé du rachat d’Uramin. Une opération qui a été examinée de près par différentes instances: comité d’audit, conseil d’administration, comité stratégique, autorité de tutelle… « Je peux vous dire que la tutelle, notamment l’Agence des participations de l’Etat(APE), a fait preuve de professionnalisme et de rigueur dans ce dossier. » L’APE a eu l’ensemble des documents nécessaires lors du processus de due diligence, et « son directeur de l’époque, Bruno Bézard, est un homme exigeant, rigoureux (qui) ne se contente pas de déclarations approximatives, surtout s’agissant d’un achat de 2,5 milliards de dollars. » Le processus de due diligence a ainsi été respecté, martèle-t-il, avec l’appui de la banque Rothschild, « ce n’est pas n’importe qui », et du cabinet canadien SRK, « le cabinet qui, en matière minière, fait référence dans le monde. »

Les provisions ont été constituées ensuite en fonction des risques évalués, et validées par les commissaires aux comptes de l’entreprise. La catastrophe de Fukushima est le principal élément explicateur des dépréciations observées (1).

Quant aux estimations minières initiales, elles sont proches de la réalité constatée: « l’estimation forte était de 90.000 tonnes d’uranium. Par prudence, elle a été ramenée à 60.000. Aujourd’hui, elles sont établies à 64.000 tonnes (2). » Mêmes précautions pour le prix, a complété Anne Lauvergeon: « Tous les éléments ont été transmis à l’APE, y compris les versions excel pour faire jouer les différentes hypothèses. Nous avons opté pour 75 $ la livre, lorsque le prix spot était à 115 $ et que des spéculations le portaient à 150, voire 200 $… » Estimant que les « dépréciations d’actifs sont courantes en matière minière », Jean-Cyril Spinetta a rappelé que l’uranium était « toujours en terre. L’exploitation reprendra à Trekkopje, et démarrera à Bakouma. »

Sur le pré-rapport, dont il n’a « pas été personnellement destinataire », l’ancien président du Conseil de surveillance a estimé qu’il était « légitime et normal que la Cour des comptes examine les comptes d’Areva. Et c’est souhaitable! Il est habituel de mettre dans de tels rapport ce qui n’a pas marché. Mais je ne doute pas que la procédure contradictoire conduise la Cour à modifier ce pré-rapport », dans un sens plus favorable à Anne Lauvergeon, dont il a souligné « quelques réussites éclatantes »: la création du groupe, l’ATMEA, ou la branche « transport distribution, achetée à Alstom 910 millions d’euros en 2004 et revendue 4,3 milliards en 2009. » Il estime qu’on « se focalise à tort sur le dossier Uramin » (pourtant l’objet continu de son intervention). Evoquant rapidement les autres sujets pointés par la rue Cambon: la rémunération (« elle n’a pas varié durant les deux ans de mon mandat »), Hoel 3 (« s’agissant de prototypes comme l’EPR, il est assez fréquent que les industriels rencontrent quelques difficultés », surtout lorsqu’ils ont affaire un « client difficile »)…

Pourquoi est-ce lui qui évoque ce sujet et non Anne Lauvergeon à ses côtés? « Je vis assez mal qu’on puisse remettre en cause la sincérité des comptes », dont il était garant, explique-t-il.

Anne Lauvergeon s’est dite « assez surprise » du procès qui lui est fait, détaillant « la collégialité » des décisions prises à Areva, les compétences des membres de son ancienne équipe, l’indépendance des décisions prises (« Je n’ai jamais participé à un comité d’audit! Je n’ai jamais participé à aucune réunion de l’APE sur l’acquisition d’Uramin. »). Lançant aussi une pique contre le pré-rapport: « il faut attendre la page 72 pour voir une mention de Fukushima… Or, ça change complètement les plans stratégiques de l »‘entreprise et son marché… » Sans oublier d’évoquer un « certain acharnement » à son encontre, souhaitant « que l’on dépersonnalise le dossier et qu’on rétablisse les faits. »

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1 Après avoir divisé par cinq la valeur comptable d’Uramin, Areva avait inscrit des provisions de l’ordre de 1,9 milliard d’euros dans ses comptes 2010 et 2011.
2  26.000 tonnes à Trekkopje (Namibie) et 38.000 tonnes à Bakouma (Centrafrique)..