Le rapport de la commission d’enquête parlementaire relatif aux tarifs de l’électricité est en ligne.
Il dresse un état des lieux accablant de la gouvernance d’EDF par l’Etat, qui se traduit par une situation financière « sur le fil du rasoir. » Pour l’anecdote, on notera le coup de pique au « tarif agent. »
Extrait :
« La situation actuelle d’EDF est l’héritage de près de 20 ans d’une gestion insuffisamment maîtrisée. L’entreprise se trouve de ce fait soumise aujourd’hui à de fortes contraintes.
a. De mauvais choix stratégiques
Au sortir de la décennie 1990, EDF était assise sur un véritable « trésor ». L’amortissement du parc nucléaire sur une période plus courte que sa durée de vie dégageait des marges de manœuvre financières considérables. Après une période de fort investissement, l’entreprise pouvait tirer les bénéfices des efforts passés. Rétrospectivement, il apparaît que la direction d’EDF et l’État n’ont pas fait les bons choix et que les décisions passées mettent aujourd’hui l’entreprise en difficulté.
• Des baisses de tarif inconsidérées, un développement international peu couronné de succès
À la fin de la décennie 1990 et jusqu’au milieu des années 2000, EDF a arrêté d’investir en France, et ce pour deux raisons.
Délibérément, les tarifs réglementés de vente, fixés par le pouvoir réglementaire, ont baissé continument entre 1996 et 2006. À la veille de l’ouverture du marché européen à la concurrence, M. Edmond Alphandéry, alors président d’EDF, annonçait une baisse des tarifs de l’ordre 14 % sur la période 1997-2000. Il en est résulté un manque à gagner pour l’entreprise d’environ 56 milliards de francs.
Non seulement les revenus d’EDF ont diminué, mais ils ont été consacrés à des investissements à l’étranger. Sur 15 milliards de francs d’investissements budgétés, 13 milliards devaient être consacrés au développement international de l’entreprise en Europe et en Amérique latine, réduisant la part des investissements en France à la portion congrue. Les investissements à l’étranger réalisés durant cette période auraient pu se traduire par une implantation dans des pays en croissance, mais aucun ne s’est avéré pérenne.
• Un « mur d’investissements » à surmonter
Devant la dégradation du réseau électrique français, rendue manifeste lors des différentes tempêtes de la décennie 2000, puis à la suite de la catastrophe de Fukushima, en 2011, la prise de conscience a été brutale. Faute d’avoir été lissés sur longue période, en profitant des revenus dégagés par le parc nucléaire, des investissements colossaux doivent désormais être engagés sur un intervalle de temps restreint, d’où une trajectoire de montée en puissance très rude.
S’agissant des investissements sur le réseau de distribution, les montants annuels d’investissements délibérés – c’est-à-dire hors investissements imposés – d’ERDF, avaient été divisés par trois entre 1992 et 2004. Ils ont doublé depuis cette date, passant de 1,6 Md€ à 3,4 Mds€. L’augmentation devrait se poursuivre au cours de la prochaine période tarifaire, sur un rythme de 2,5 %/an.
S’agissant des investissements nécessaires dans le parc nucléaire, la pyramide des âges des réacteurs du parc nucléaire historique contraint EDF à réaliser son programme du « Grand carénage » dans un intervalle de temps très rapproché. La Cour des comptes a évalué pour sa part le montant total des investissements à consentir sur la période 2011-2033 à 110 Mds€ courants.
b. Des coûts d’exploitation insuffisamment maîtrisés
• La « culture du monopole »
EDF a longtemps vécu à l’abri d’une réelle contrainte. En l’absence de concurrence, l’entreprise n’a pas été poussée dans ses retranchements, contrairement à d’anciens monopoles d’État, dont l’exemple le plus frappant est Orange, qui a dû s’adapter face à des concurrents sérieux. En l’absence de véritable concurrence, à quoi bon réduire ses coûts d’exploitation ?
Les pouvoirs publics ont une part de responsabilité dans cet état de fait. La tutelle s’est montrée trop peu pressante. Sans doute rassurée par des prix de l’électricité française perçus comme les plus bas d’Europe, alors même qu’ils avaient été tenus artificiellement à ce niveau par un manque d’investissements, elle a laissé la direction de l’entreprise gérer cette question. Au demeurant, la méthode « comptable » de couverture des coûts par les tarifs n’était pas en mesure de favoriser un réel effort de rationalisation des coûts. Jusqu’à un certain point, elle pouvait même encourager l’augmentation de ces derniers.
• Des critiques émises par la Cour des comptes qui ne doivent pas occulter la disponibilité des salariés pour les missions de service public
Au fil de plusieurs rapports et référés (12) (13) (14), la Cour des comptes a sévèrement critiqué la gestion sociale d’EDF, en évoquant une politique salariale « généreuse », un décalage croissant entre les tarifs de l’électricité et le « tarif agent », des règles relatives au temps de travail très favorables aux salariés et des problèmes de gestion de la Caisse centrale d’activité du personnel (CCAS).
Votre rapporteure tient à souligner que l’analyse de la Cour des comptes, purement financière, sous-estime le poids de l’histoire du groupe d’EDF, les spécificités du secteur de l’énergie et, surtout, ne rend pas justice à la disponibilité sans limite des salariés. Quelle entreprise autre qu’EDF aurait pu rappeler ses agents retraités pour porter secours aux Français privés d’électricité lors des tempêtes des années 2000 ? Il doit en être tenu compte.
Pour votre rapporteure, la Représentation nationale n’a pas à s’immiscer dans ce qui relève des relations sociales au sein de l’entreprise. Il n’est pas non plus concevable de remettre en cause les acquis sociaux des salariés, dès lors qu’ils ne se distinguent pas des pratiques les plus courantes des grandes entreprises.
En revanche, deux modalités du « tarif agent » génèrent des conséquences qui interpellent le législateur. D’une part, le bénéfice du tarif n’est pas plafonné, ce qui peut conduire à subventionner de véritables gaspillages énergétiques. La consommation moyenne annuelle par point de distribution est ainsi de 13,4 MWh (15), à comparer à la consommation moyenne d’un client résidentiel, de 4,9 MWh. Alors que le pays souhaite s’engager dans une politique d’efficacité énergétique ambitieuse, le non-plafonnement du tarif agent est incompatible avec les exigences de la transition énergétique.
D’autre part, les bénéficiaires du « tarif agent » sont les seuls consommateurs exonérés de CSPE à titre individuel. En considérant la croissance attendue de la CSPE dans les années à venir et les objectifs de solidarité assignés à ce prélèvement – tarif de première nécessité, péréquation en faveur des zones non interconnectées et même soutien aux énergies renouvelables –, la légitimité du maintien d’un système d’exonération individuelle paraît fragile au regard du principe constitutionnel d’égalité des citoyens devant les charges publiques.
c. L’explosion des coûts de l’EPR de Flamanville
La construction de l’EPR de Flamanville, autorisée par décret en avril 2007, après la loi d’orientation sur l’énergie du 13 juillet 2005, a donné lieu à une dérive inquiétante des coûts. La mise en service, prévue pour 2012, a été repoussée à de multiples reprises, pour être désormais fixée à 2016. Outre les coûts liés aux intérêts intercalaires engendrés par ces retards, la commission d’enquête sur les coûts du nucléaire a relevé dans son rapport l’explosion des coûts du projet en lui-même. D’un coût initial estimé à 3,3 milliards d’euros, correspondant à un coût complet de production d’environ 46 €/MWh, les prévisions de coût pour l’EPR de Flamanville ont par la suite été relevées à plusieurs reprises pour aboutir, en décembre 2012, à un coût estimé à 8,5 milliards d’euros.
2. Une situation financière sur le fil du rasoir
La question des coûts d’exploitation d’EDF ne mériterait pas que l’on y accorde une telle importance si elle ne s’inscrivait pas dans un contexte financier tendu pour l’entreprise.
a. Une trajectoire d’investissements difficile à tenir
Selon Jean-Bernard Lévy, l’endettement d’EDF « s’accroît chaque année de 3 milliards d’euros, et si les formules de calcul de prix ne sont pas modifiées, nous devrons faire face à une dette additionnelle de 30 milliards d’euros au titre de l’activité française en fin de période ».
Cette trajectoire d’endettement dégrade significativement le ratio « dette/EBE » – indicateur de la capacité de l’entreprise à dégager suffisamment de revenus pour rembourser ses dettes. La question de la soutenabilité d’un tel effort d’endettement pour l’entreprise est posée.
L’évolution vers la tarification par empilement, qui s’accompagne d’une situation de prix très bas, joue un rôle particulier dans la fragilisation financière d’EDF. En effet, on devrait assister à un effet de ciseau entre la baisse soudaine des prix de marché et la prochaine hausse du prix de l’ARENH (16).
Par conséquent, le tarif réglementé de vente, construit en partie sur l’ARENH, deviendra moins attractif aux yeux des consommateurs particuliers par rapport à des offres construites intégralement sur des prix de marché. Quant aux fournisseurs alternatifs, d’ores et déjà, ils parient sur le marché plutôt que sur l’ARENH pour se « sourcer ». Ces éléments sont corroborés par la baisse sans précédents du guichet ARENH, qui représentait 16 TWh au 1er semestre 2015, contre 37 TWh au 1er semestre 2014. L’alternative pour EDF est simple : perdre des clients en vendant au prix de l’ARENH, ou bien vendre à perte au prix de marché.
Enfin, il est important de noter que ces scénarios, intégrant un endettement déjà lourd, ne prennent pas en compte une possible consolidation du projet d’Hinkley Point dans les comptes d’EDF.
b. Des investissements insuffisants dans les énergies renouvelables
Les investissements d’EDF sont quasi-exclusivement consacrés à l’activité nucléaire, dans deux pays, la France et le Royaume-Uni. Cette concentration des moyens sur une seule branche, dans la même zone géographique, pose la question de la diversification de l’activité d’EDF et de son positionnement à l’international, en comparaison, par exemple, d’un groupe comme GDF Suez.
Les fortes contraintes sur la trajectoire d’investissement remettent en cause le positionnement d’EDF sur le segment des énergies renouvelables, au travers de sa filiale EDF-EN. Centré sur le nucléaire, le groupe EDF ne présente pas un profil suffisamment diversifié, ce qui pose la question de sa résilience sur le long terme.
3. Un État incohérent et perturbateur
L’État a tour à tour considéré EDF soit comme une vache à lait, soit comme un pompier. Sa part de responsabilité dans la situation actuelle ne peut être négligée. »