Le 15 décembre, Patrice Cossalter, avocat à la Cour (société d’avocats Legitima) a publié dans la Lettre du cadre territorial, un article consacré au renouvellement des concessions électriques. Nous reproduisons ci-après cette analyse, avec son aimable autorisation.
Vous pouvez aussi la télécharger au format PDF.
————-
> On pourra confronter cette analyse à celle d’une autre société d’avocats, le Cabinet Seban, exposée lors d’une conférence organisées à l’initiative de l’Institut de droit public des affaires, le vendredi 22 octobre 2010.
—————-
« Quelle stratégie pour le renouvellement des concessions de distribution d’électricité?
Beaucoup de communes et de syndicats d’électrification ont conclu il y a plusieurs dizaines d’années des «concessions de distribution d’électricité, en fait des documents types qui vont arriver à échéance. Quelle stratégie tenir lors du renouvellement? Quelle est la réalité juridique de ces «concessions» aux termes des nombreux textes de libéralisation du secteur de l’énergie et de l’entrée en force du droit européen?
Telles sont les questions cruciales que doivent se poser les collectivités locales.
Les données du problème
Les contrats dits de «concession de distribution d’électricité» intègrent juridiquement deux services publics
– la distribution d’électricité gérée aujourd’hui par ERDF* ;
– la fourniture d’électricité gérée par EDF.
La distribution d’électricité consiste à acheminer l’énergie des réseaux de transports jusqu’au client final.
La fourniture d’électricité est un contrat aujourd’hui associé au contrat de distribution d’électricité dont le but est de fournir à l’usager final de l’électricité à des tarifs spécifiques «réglementés ou sociaux».
Les deux activités sont visées par les textes nationaux en qualité de service public gérés exclusivement par EDF (ou ERDF) ou par les sociétés créés spécifiquement à cet effet en … 1946.
On peut se poser la question de la légalité du droit français au regard du droit européen.
Quelle stratégie pour le renouvellement?
Trois grandes questions doivent être posées :
1. Faut-il renouveler dans un même contrat les deux services publics?
2. Quel type de contrat utiliser ?
3. La mise en concurrence est elle obligatoire ?
Un ou plusieurs contrats ?
A notre sens, les deux services publics intégrés dans les concessions actuels sont juridiquement très différents. Par ailleurs, ils ne sont pas gérés par les mêmes cocontractants (EDF et ERDF). Enfin, les questions liées à leur mise en concurrence ne sont pas similaires. Dans ce cadre, il peut être opportun de songer à conclure deux contrats.
Quel contrat ?
Trois solutions théoriques existent :
– la régie,
– le contrat de délégation de service public ;
– l’avenant aux contrats actuels.
En premier lieu, la collectivité publique peut penser à une régie. Il ressort des textes «franco-français» que les collectivités territoriales sont bien propriétaires du réseau mais aussi autorités concédantes du service public de distribution.
Dans ce cadre, le droit commun leur permet d’exploiter en régie la distribution d’électricité.
Toutefois, ce «droit commun» semble dénié tant par les textes que la jurisprudence.
L’article 18 de la loi n°2000-108 du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l’électricité précise que «Electricité de France et les distributeurs non nationalisés mentionnés à l’article 23 de la loi n° 46-628 du 8 avril 1946 précitée sont les gestionnaires des réseaux publics de distribution d’électricité». L’obligation de faire gérer le réseau par une entité extérieure semble de droit. Par ailleurs, dans un arrêt en date du 27 novembre 2002**, le Conseil d’Etat a considéré que n’était pas de nature à faire naître un doute sérieux sur la légalité de la délibération « le moyen tiré de ce que le caractère particulier des sociétés d’intérêt collectif agricole d’électricité concessionnaires faisait obstacle à ce que la distribution d’électricité qui leur était jusqu’alors concédée puisse être reprise en régie » dans le cadre d’une concession préalable à une entité autre qu’EDF.
En second lieu, la collectivité publique peut vouloir conclure un contrat de délégation de service public. C’est dans ce cadre que les questions liées à la conclusion d’un ou plusieurs contrats et à la mise en concurrence sont les plus brûlantes.
En dernier lieu, la collectivité publique peut penser à un avenant comme l’a fait par exemple la Ville de Paris. Cette solution peut éventuellement être une solution d’attente, en espérant que les textes seront plus clairs dans quelques années.
La mise en concurrence
Beaucoup d’éléments militent dans le sens d’une absence de mise en concurrence obligatoire et notamment les textes nationaux comme la loi n°2000-108 du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l’électricité. En effet, l’article 18 du texte précité cite Électricité de France comme le seul gestionnaire possible des réseaux publics de distribution d’électricité (à l’exclusion des distributeurs non nationalisés (DNN).
Par ailleurs, l’article L.1411-12 du code général des collectivités territoriales précise que la mise en concurrence «ne s’appliquent pas aux délégations de service public : a) lorsque la loi institue un monopole au profit d’une entreprise». On peut donc considérer que l’article 18 de la loi 2000-108 du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l’électricité a institué un monopole aux bénéfices d’Électricité de France.
Le droit français ne semble pas à ce jour incompatible avec le droit européen pour ce qui est de la distribution d’électricité. En effet, la Directive 2009/72/CE indique que « Les États membres désignent, ou demandent aux entreprises propriétaires ou responsables de réseaux de distribution de désigner pour une durée à déterminer par les États membres en fonction de considérations d’efficacité et d’équilibre économique, un ou plusieurs gestionnaires de réseau de distribution ».
Le Conseil Constitutionnel (décision n° 2006-543 DC en date du 30 novembre 2006), certes dans une décision concernant la distribution de gaz, a justifié l’atteinte portée aux principes de liberté contractuelle des collectivités locales par l’attribution de droits exclusifs à GDF (mutatis mutandis à ERDF) par la nécessité d’assurer la cohérence du réseau concédé et de maintenir la péréquation des tarifs d’utilisation des réseaux.
La messe semble dite mais elle ne l’est pourtant pas totalement. En effet, on peut relever que la doctrine, même si elle milite pour l’absence de mise en concurrence, soulève un certain nombre d’interrogations. Par ailleurs, la Directive suscitée n’indique pas expressément que les contrats peuvent être conclus sans mise en concurrence. Enfin, la légalité de la loi française mais aussi de la directive 2009/72/CE n’est toujours pas certaine au regard du traité de l’Union européenne et notamment de son article 106 qui interdit aux Etats de maintenir au profit des entreprises publiques auxquelles ils accordent des droits spéciaux ou exclusifs des mesures contraires aux règles des traités. L’article 106 soumet les entreprises telles qu’EDF ou ERDF aux règles des traités, notamment aux règles de la mise en concurrence. Certes, le même article 106 permet aux états de définir des droits spéciaux ou exclusifs aux entreprises chargées d’un service d’intérêt général mais ces droits sont soumis à un principe de proportionnalité qui impose que les restrictions apportées au droit de la concurrence et aux libertés liées au marché intérieur soient strictement nécessaires à l’exercice de la mission de service public. Il faut relever que la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union a une interprétation stricte de la règle sus visée (voir notamment CJCE, 30 janvier 1974, Affaire C-127/73, CJCE, 27 avril 1994, Affaire C-393/92, CJCE, 7 décembre 2000, Affaire C-324/98). On doit aussi relever que dans un arrêt en date du 21 juillet 2005, la Cour a sanctionné la passation d’une concession de distribution de gaz ne permettant pas à un opérateur européen de manifester son intérêt (CJCE, 21 juillet 2005, Affaire C-231-03). La jurisprudence française elle-même semble être favorable à une mise en concurrence pour les délégations de service public présentant un intérêt communautaire (Conseil d’Etat – 1er avril 2009). Sur le plan technique, il ne semble pas impossible de concilier le fait que le réseau de distribution est une structure substantielle avec une mise en concurrence. Il est notamment possible dès aujourd’hui d’assurer les interconnexions entre les « DNN » et ERDF. Sur le plan financier, la péréquation est déjà assurée dans les faits par le fonds d’amortissement des charges d’électrification (FACE) et le fonds de péréquation de l’électricité (FPE).
La problématique est par ailleurs très différente pour la fourniture d’électricité et penche à notre sens pour une mise en concurrence dès lors que:
1. la création d’un service public de la fourniture d’électricité «franco-français est assez artificielle puisqu’elle se base sur le postulat qu’EDF produit une électricité moins chère, postulat qui semble être mis à mal, tant par le juge administratif que par les économistes qui se posent notamment la question du coût réel du parc nucléaire. En outre, la commission européenne a intenté deux procédures contre les tarifs réglementés français.
2. La décision du 30 novembre 2006 du Conseil constitutionnel, si elle peut éventuellement fonder l’absence de liberté contractuelle pour la distribution semble avoir un fondement moindre dans le cadre de la fourniture dès lors qu’elle ne vise pas ce service public.
3. La Directive 2009/72/CE ne semble éventuellement fonder un monopole que pour la seule distribution et non pour la fourniture d’électricité.
4. Il existe déjà un grand nombre d’opérateurs présents sur le sol national ce qui exacerbe les risques contentieux.
5. La fourniture de gaz a peut être montré la voie puisque certains fournisseurs sont agréés pour fournir du gaz au prix règlementé.
Conclusion
Les problèmes juridiques sont complexes, les problèmes pratiques peut-être encore plus. En effet et par exemple comment mettre en concurrence alors qu’ERDF refuse (de manière totalement illégale) de donner les données techniques et financières des réseaux qu’il exploite? Comment réellement négocier si l’on choisit de ne pas mettre en concurrence alors que l’on est face à un monopole ? …. Les questions restent nombreuses.
Patrice Cossalter, Avocat à la Cour, Société d’Avocats Legitima
* Loi n° 2006-1537 du 7 décembre 2006 relative au secteur de l’énergie qui créé ERDF sous forme de société et lui transfert les droits et obligations des contrats de concession pour la partie distribution.
** Conseil d’Etat, n° 246764, 27 novembre 2002″.
Cliquez ici pour télécharger ce document au format PDF.
————
« En savoir plus :
La directive 2009/72/CE du Parlement Européen et du Conseil du 13 juillet 2009 concernant les règles communes pour le marché intérieur de l’électricité et abrogeant la directive 2003/54/CE ;
La directive 2004/18/CE du Parlement Européen et du Conseil du 31 mars 2004 relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services ;
La directive 2003/54/CE du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2003 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité et abrogeant la directive 96/92/CE ;
Le projet de loi portant nouvelle organisation du marché de l’électricité (NOME) (projet adoptée en première lecture par l’Assemblée nationale le 15 juin 2010 – 2ème lecture le 01 octobre 2010) ;
La loi n°2006-1537 du 7 décembre 2006 relative au secteur de l’énergie ;
La loi n°2004-803 du 9 août 2004 relative au service public de l’électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières ;
La loi n° 2003-8 du 3 janvier 2003 relative aux marchés du gaz et de l’électricité et le service public de l’énergie ;
La loi n° 2000-108 du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l’électricité ;
La loi n°46-628 du 8 avril 1946 sur la nationalisation de l’électricité et du gaz.
Une réponse ministérielle en date du 26 novembre 2009 ;
Une réponse ministérielle en date du 28 octobre 2008 ;
L’arrêt du Conseil d’Etat en date du 1er juillet 2010 ;
L’arrêt de la Cour administrative d’appel de Douai en date du 30 juin 2010 ;
L’avis du Conseil d’Etat n° 372040 en date du 11 mai 2006 ;
La décision du Conseil constitutionnelle en date du 30 novembre 2006. »