Dans l’attente du vote du 15 juin, le projet de loi NOME tel qu’il résulte des discussions qui ont eu lieu à l’Assemblée nationale cette semaine, est publié. Ce texte, portant nouvelle organisation du marché de l’électricité, a été relativement peu modifié par les députés.
L’hémicycle vote l’Arenh
Dans un souci de précision sémantique, l’ARB , accès régulé à la base, a disparu, remplacé par l’Arenh (accès régulé à l’énergie nucléaire historique). Une précision liée à nombre d’amendements visant à inclure l’électricité d’origine hydraulique dans l’ARB (amendement n° 176).
Le plafond annuel de cession est maintenu à 100 TWh par an, hors pertes sur le réseau. Pas de changements pour ce qui est des modalités de fixation du prix de cession.
On observera en revanche la création d’un tiers (non encore précisé mais les conversations ont évoqué à plusieurs reprises Powernext) destiné à assurer les transactions entre EDF et ses concurrents, afin d’éviter que l’opérateur historique n’ait accès à leurs informations commerciales…
C’est par le biais de l’amendement n°158 rectifié, proposé par Jean-Claude Lenoir, rapporteur, qu’a été créé ce « tiers », cet amendement visant à rédiger ainsi la dernière phrase de l’alinéa 7 de l’article 1: « «Une entité juridiquement indépendante d’Électricité de France et des fournisseurs mentionnés au premier alinéa du II organise les échanges d’information de telle sorte qu’Électricité de France ne puisse avoir accès à des positions individuelles, et notifie la cession des volumes d’électricité nucléaire historique précités.» » Jean-Claude Lenoir a précisé qu’il « ne s’agit évidemment pas d’un nouveau régulateur. C’est une entité qui va agréger les demandes en volume des fournisseurs alternatifs ».
L’Arenh passera-t-il les frontières? Les débats ont porté à plusieurs reprises sur l’impact du texte au-delà des seuls fournisseurs ou consommateurs français: Jean-Claude Lenoir, rapporteur, a estimé que le texte réservait l’Arenh au seuls fournisseurs agissant sur le territoire français: « Je répète que l’ARENH profitera, in fine, aux seuls consommateurs situés sur le territoire national. L’alinéa 2 de l’article 1er précise ainsi que l’accès régulé et limité à l’électricité de base produite par Électricité de France sera réservé aux seuls opérateurs fournissant des consommateurs finals résidant sur le territoire national. L’alinéa 3 oblige EDF à signer des contrats de vente d’électricité au titre de cet accès avec tous les fournisseurs alimentant des consommateurs finals ou des gestionnaires de réseaux pour leurs pertes, situés sur le territoire métropolitain continental. Aux termes de l’alinéa 8, le volume d’électricité cédé dépendra « des caractéristiques et des prévisions d’évolution de la consommation finale effective des consommateurs finals qu’ils fournissent et prévoient de fournir sur le territoire métropolitain continental. » Enfin, l’alinéa 18 garantit que les volumes d’électricité qui sont attribués en excès, en raison d’une surestimation de la consommation prévisionnelle sur le territoire national, ne pourront pas être utilisés à des fins spéculatives, notamment en les revendant sur le marché de gros à des prix supérieurs au prix consenti, car la différence avec les prix du marché devra être rétrocédée par le fournisseur à EDF. Telles sont les quatre dispositions majeures qui empêchent toutes les spéculations dont il a été fait état ».
Tarifs réglementés de vente, consommation
Pour les tarifs régulés, le principal changement apporté par NOME concerne les professionnels souscrivant une puissance supérieure à 36 KVA. Aujourd’hui, ceux-ci ne peuvent pas demander à revenir aux tarifs réglementés s’ils ont pris eux-mêmes la décision de les quitter. Avec Nome (en première lecture), ce sera possible mais, chaque aller-retour entre tarifs réglementés et prix de marché sera assorti d’un délai d’un an. Ils pourront donc demander à bénéficier des tarifs jusqu’à leur suppression, prévue fin 2015 dans le projet de loi, mais… s’ils veulent revenir aux prix de marché, ils devront patienter 12 mois (pour éviter les effets d’aubaine, ont plaidé les députés). L’accès aux tarifs sera possible dans les trois cas de figure suivants:
– lorsque le retour d’un site aux TRV est demandé par la personne qui avait décidé de s’approvisionner sur le marché pour ce même site (réversibilité);
– en cas de raccordement d’un nouveau site au réseau électrique;
– en cas d’emménagement sur un site existant pour lequel une autre personne avait fait précédemment usage de ses droits à l’éligibilité.
Pour les consommateurs finals domestiques et professionnels qui ont souscrit pour leur(s) site(s) une puissance égale ou inférieure à 36 kVA, la situation est différente et même considérablement assouplie par rapport à la loi du 7 juin 12010. Ils pourront en effet continuer à bénéficier des tarifs au-delà du 31 décembre 2015 et passer librement du service public au marché (ou inversement) sans délai particulier. La loi du 7 juin 2010 fixe actuellement ce délai à 6 mois.
Créé via un amendement (n° 19 rectifié) soutenu par Marie-Christine Dalloz, un article 1er bis modifie « la rédaction de l’article 6-3 de la loi du 31 mai 1990 visant à la mise en œuvre du droit au logement, afin de l’adapter à la configuration des marchés énergétiques suite à l’ouverture totale à la concurrence. Il conviendrait que le décret d’application de cet article inclue les conventions FSL dans le dossier de demande d’autorisation présenté par un fournisseur d’électricité ».
Effacement
L’article 2 introduit l’obligation pour les fournisseurs de disposer à la fois une capacité de production à la pointe et d’une capacité d’effacement (amendement n+° 38, soutenu par François Brottes: « Notre idée est de n’exonérer personne de cette exigence en matière d’effacement. Tel est le sens de notre amendement, qui ne vise pas seulement certains opérateurs (…). À voir les résultats de la pointe, avec, l’an dernier, près de soixante jours d’importation d’électricité, nous ne pouvons guère être fiers de la manière dont cela a été géré. Aussi, qu’ils soient petits ou gros, les fournisseurs doivent tous faire un effort ».).
Commission de régulation de l’énergie
Le collège de la CRE passe de 9 à… 3 membres. Ce changement a suscité un commentaire de François-Michel Gonnot: « Ce collège, qui était initialement composé de neuf membres, et pas tous à plein-temps, n’en compte plus que trois: ils constituent donc un triumvirat, avec tous les risques que cela comporte. Au regard des responsabilités importantes dont la commission va être investie vis-à-vis des entreprises et des ménages français, il me paraît nécessaire de conserver une réelle collégialité. Cela signifie des membres exerçant tous à plein-temps, suffisamment nombreux pour que leurs décisions puissent être considérées comme véritablement collégiales, et l’interdiction pour les membres de représenter des intérêts particuliers, fussent-ils ceux des consommateurs. L’ensemble de ces conditions doit constituer une doctrine ».). Pour sa part, François Brottes estime qu’il ne s’agit plus d’un collège: « c’est quasiment du despotisme éclairé de la part d’une toute petite entité! »
En outre, un amendement a repoussé l’âge limite de nomination des membres de la CRE, le portant à 70 ans (article 8, alinéa 10).
Soutenu par Claude Gatignol, cet amendement, a-t-il précisé, va « dans le sens des préoccupations actuelles du Gouvernement, quant aux activités des seniors, à leurs compétences, leur sagesse et leur autorité naturelle! Voilà une proposition, monsieur le ministre d’État, qui pourrait vous être agréable ».
Taxes locales sur l’électricité
Créant un article 12, l’amendement déposé par Charles de Courson vise à mettre la France en conformité au droit communautaire. Le texte final est pratiquement le même que celui adopté par la Commision. On notera un amendement qui maintient l’existence des fonds de concours pour les syndicats d’électricité, réintroduisant le dispositif à l’article 5212-24 du CGCT, comme c’est le cas aujourd’hui.
L’article 13 permettra à une SEM locale de créer une filiale de commercialisation, le dispositif actuel visant uniquement les régies.
Via l’article 14, le statut des industries électrique et gazière est étendre le statut aux commercialisateurs, sauf si une convention collective existe déjà dans les groupes en question.
Cliquez ici pour télécharger le projet de loi NOME (texte à la date du 10 juin 2010).
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A noter
> L’amendement visant à élargir la compensation, via la CSPE, de l’achat d’électricité verte à d’autres fournisseurs qu’EDF et les DNN n’a pas été adopté. Valérie Létard, secrétaire d’État, a estimé que’il en résulterait une gestion des opérations « plus complexe. En effet, plusieurs questions restent sans réponse: lorsque plusieurs obligés existent, comment s’établirait entre eux l’ordre de priorité Lequel serait l’obligé de dernier recours? En outre, un tel dispositif conduirait probablement au rachat d’énergies renouvelables par une multitude d’acteurs, empêchant la gestion et la valorisation des sources renouvelables de bénéficier d’économies d’échelle. De ce fait, il est optimal de confier le rachat de l’énergie renouvelable à un nombre réduit d’acteurs ». A la grande déception de Jean Dionis du Séjour: « Comment pouvez-vous écarter cet amendement, madame la secrétaire d’État ? Allez voir ce qui se passe en Allemagne! »
> Soutenu par Claude Gatignol, un amendement tendant « à mettre à la charge des producteurs le coût de raccordement d’une installation de production d’électricité à partir de sources locales d’énergie, cette contribution devant couvrir intégralement les coûts de raccordement et de renforcement des réseaux », a été retiré en séance. Le député de la Manche envisage cependant de le représenter en deuxième lecture.
> Un amendement visant à élargir le périmètre d’action du médiateur de l’énergie n’a pas été adopté. Jean-Claude Lenoir a indiqué qu’il convenait d’attendre les résultats du travail de la mission d’information consacrée au « problème des autorités administratives indépendantes (…) avant de prendre toute initiative ».
> Patrick Ollier a annoncé en séance que la mission d’information sur le problème des réseaux de distribution, présidée par Jean Gaubert et dont Jean Proriol sera le rapporteur, commencera « ses travaux très rapidement, le 23 juin ».
Morceaux choisis :
Plusieurs députés du Parti socialiste ont profité de l’examen du texte pour faire preuve d’ironie (ainsi de Jean Gaubert. « On nous a demandé de permettre la concurrence mais on ne va pas, en plus, administrer la concurrence et définir les parts de marché des uns et des autres ») ou, tout simplement, de jouer avec les mots: « L’histoire retiendra donc que, ce soir, le prince Lenoir a couronné l’ARENH! », lança François Brottes à l’adresse du rapporteur). Sans oublier de rebaptiser, comme le fit Frédérique Massat, le projet de loi NOME en « Nouvel outil du massacre électrique »…
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Le texte part au Sénat. Enerpresse précise la calendrier des auditions : par la commission de l’économie.
« Henri Proglio, p-dg d’EDF, Philippe de Ladoucette, président de la CRE, Dominique Maillard, président de RTE et Jean-Louis Borloo, ministre de l’Energie, seront interrogés le mercredi 23 juin par les sénateurs. Gérard Mestrallet, p-dg de GDF Suez, et Robert Durdilly, président de l’UFE, passeront eux le mercredi 30 juin devant la commission. L’examen du rapport et du texte de la commission sur le projet de loi Nome sera examiné en commission le 7 juillet ».