Présentant les deux volumes des Nouvelles régulations électriques (Lavoisier), plusieurs auteurs de cet ouvrage collectif dirigé par Michel Lapeyre ont répondu aux questions de la presse, vendredi 10 octobre.


CSPE et facture

Pour Jacques Batail, s’il y a une « tentation de forcer la concurrence » dans un marché de l’électricité qui s’y prête peu, elle se révèle coûteuse et peu bénéfique pour la collectivité. Ainsi du photovoltaïque: « à tout horizon prévisible, il sera plus cher que l’éolien ou le nucléaire. » Son financement, supporté par la CSPE, répond a une logique de crédit peu vertueuse: « il faudrait que les coûts réels soient connus des citoyens. » La création d’un marché européen de l’énergie conduit « à un phénomène de lissage des prix ». Mais dont les implications sont différentes, selon que l’on part de prix hauts (Allemagne, Royaume-Uni, Pologne…) ou bas, comme en France. « La concurrence a introduit des prix négatifs, a pointé Gilles Darmois (professeur à l’IFP et consultant). L’Allemagne connaît de grandes séquences de prix négatifs! »

Tarifs progressifs et tarifs sociaux
« Si vous voulez des tarifs sociaux en régime concurrentiel, il faut les imposer », estime Gilles Darmois. Les tarifs progressifs ne peuvent pas être une réponse aux problèmes sociaux: « ce ne sont pas forcément les plus riches avec leur grosse télé qui consomment le plus: il y a le problème du chauffage électrique. L’ensemble des coûts de l’énergie est amené à croître: la consommation fera-t-elle de même? Alors, la facture serait très élevée. « On ne peut pas combiner les tarifs progressifs et les tarifs sociaux. Il faut traiter à part la question de l’isolation. Quand je lis dans la loi (proposition de loi de François Brottes « visant à préparer la transition vers un système énergétique sobre ») qu’un locataire pourrait déduite de son loyer les travaux à faire en se tournant vers son propriétaire, je n’y crois guère… » Sans oublier, observe Maurice Méda (Conseiller d’Etat), que « cela pose des problèmes constitutionnels graves. Ce texte prépare la création de 35 millions de volumes autorisés de consommation! La mise en place de cette mécanique administrative semble inapplicable. »
L’organisation en zones climatiques régionales pose également question. il y a le risque que les zones chaudes, lors d’un hiver rigoureux fassent basculer les consommateurs en malus », observe Pascal Sokoloff. Selon que l’on habite Lille ou Marseille, la facture sera différente, mettant à mal l’homogénéité des tarifs sur le territoire national.

La CRE

Avec la proposition de loi Brottes, on s’achemine vers la quatrième modification du collège de la CRE depuis 2000, donc la cinquième en tout. La CRE comprendrait désormais des membres dont la compétence est spécifiée: consommation et précarité, MDE et environnement, outre-mer… Ca surprend! » s’étonne Maurice Méda.
– Et pourquoi pas le Languedoc Roussillon? », glisse Michel Derdevet (RTE).
Quant à la présence de la CNIL, expliquée par l’incursion du texte dans la vie privée, elle pose la question « de l’interconnexion entre autorités administratives indépendantes… La CRE est-elle encore une AAI si on la manipule tous les 3 ou 4 ans? Est-elle encore respectable, sinon respectée? »

Réseaux: une régulation européenne
« La politique énergétique est toujours conduite au niveau des Etats, malgré l’émergence d’une politique de régulation au niveau européen, observe Michel Derdevet. L’enjeu aujourd’hui est celui, « considérable de l’écriture de normes et règles communes. il faut codifier le fonctionnement de ce système. »
L’apparition de sources d’énergie intermittentes (comme les champs éoliens de la mer du Nord) augmente les risques de black-out, estime-t-il. « En 2011, quatre incidents graves ont été évités » par une meilleure coordination des GRT et des systèmes de prévisions améliorés.

Hydroélectricité
Analysant le programme d’investissement des installations de production hydroélectrique (arrêté du 10 août 2012, publié au JO du 5 septembre), Mounir Meddeb (avocat au cabinet Energie-Legal) en a souligné le « principe louable » tout en détaillant des « points critiquables comme, par exemple, celui du programme d’investissement que le producteur doit envoyer à EDF. Puis, quatre ans après, au Préfet. Si le préfet a un pouvoir d’appréciation, pourquoi un tel délai? Et s’il annule le contrat, outre l’effet rétroactif, il y a aura émission de pénalités. »

Réseaux de distribution
Pascal Sokoloff (FNCCR) a rappelé le constat, désormais « partagé », d’une dégradation de la qualité des réseaux de distribution, en raison d’une chute des investissements d’EDF distribution (devenue ERDF). L’amélioration observée en 2011 témoigne d’une reprise des investissements mais résulte surtout d’une année calme d’un point de vue climatique: « il faudra évaluer ces résultats sur une période significative de plusieurs années avant d’en tirer des conclusions hâtives. »
La FNCCR plaide pour un rééquilibrage du modèle concessif, la collectivité devant être en mesure d’exercer pleinement son rôle de régulateur local. ERDF doit s’attacher à améliorer ses services et ses relations avec les autorités concédantes:; « si le monopole n’est plus profondément en mesure de garantir la qualité, alors l’attachement à ce monopole va s’étioler », estime-t-il, soulignant que « la fracture électrique s’est profondément creusée en dix ans. »..

Compteur Linky
« Il y a un discours très fallacieux, consistant à dire que le compteur sera gratuit pour les consommateurs », déplore Jacques Batail. On retrouve, comme pour les ENR et la CSPE, le fonctionnement à crédit. Au moment des choix, le consommateur ne perçoit pas la réalité des coûts. » D’autant plus, observe Christophe-Alexandre Paillard (professeur à Sciences-Po et à l’ENA), que les acteurs divergent sur le coût réel de la facture finale, ce qui est en soi problématique. Déplorant les attaques dont est victime Linky, notamment sur la question des données personnelles, il observe un « décalage entre des discours plus ou moins technocratiques et la réalité sociologique » des consommateurs. « Il y a dans l’opinion publique une réticence à voir apparaître de nouvelles infrastructures et de nouveaux équipements. C’est un discours d’inquiétude, basé sur le « on vous a menti » qui pourrait trouver son origine dans l’accident de Tchernobyl… »

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Tome 1: 314 pages, 100 € (ISBN 978-2-7462-3903-6)
Tome 2: 272 pages, 90 € (ISBN 978-2-7462-3904-3)