Nous publions ci-après une analyse de Mounir Meddeb, Avocat à la Cour (cabinet Energie-Legal), sur la décision du Conseil d’Etat annulant les tarifs 2009 (bleus, jaunes et verts) de vente d’électricité.

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« L’annulation par le Conseil d’Etat des tarifs réglementés de vente d’électricité pour l’année 2009

Sur un recours du SIPPEREC, le Conseil d’Etat a annulé le 22 octobre 2012 l’arrêté du 13 août 2009 relatif aux tarifs réglementés de vente de l’électricité.
Au-delà de l’annulation des tarifs réglementés de vente de l’électricité (TRV) pour l’année 2009 (2.), cet arrêt pose, d’une part, la question de la construction tarifaire (3.) et, d’autre part, la question de la procédure d’adoption de ces tarifs (4.). Préalablement, il conviendrait d’exposer le cadre juridique dans lequel s’inscrivent les TRV (1.).

1. Cadre juridique
La directive 2003/54/CE du 26 juin 2003 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité, en application lors de l’adoption de l’arrêté du 13 août 2009, ne traite pas des tarifs réglementés de vente. Il en va de même de la directive 2009/72/CE du 13 juillet 2009.
En effet, dans le cadre d’un marché libéralisé, des tarifs réglementés pour la fourniture d’électricité n’ont pas par nature vocation à perdurer.
Il y a lieu toutefois de noter que la directive du 26 juin 2003 prévoit dans son article 3.3 dispose que « Les États membres veillent à ce que au moins tous les clients résidentiels et, lorsqu’ils le jugent approprié, les petites entreprises (à savoir les petites entreprises sont définies comme des entreprises employant moins de 50 personnes et dont le chiffre d’affaire annuel n’excède pas 10 millions d’euros) aient le droit de bénéficier du service universel, c’est-à-dire du droit d’être approvisionnés, sur leur territoire, en électricité d’une qualité bien définie, et ce à des prix raisonnables, aisément et clairement comparables et transparents » .
Cette disposition pourrait servir de fondement à des tarifs réglementés ou, à tout le moins, encadrés. Il est au demeurant regrettable que les arrêtés fixant les TRV pour l’électricité n’y fassent pas référence.
Dans le cadre de la négociation globale entre la France et la Commission européenne, aboutissant à l’adoption de la loi n° 2010-1488 du 7 décembre 2010, dite loi NOME, il a été décidé que les TRV soient préservés pour les clients finals domestiques et non domestiques pour leurs sites souscrivant une puissance inférieure ou égale à 36 kilovoltampères et que les autres clients ne puissent plus à partir du 1er janvier 2016, bénéficier des TRV.
Afin de fixer les TRV, l’article L.337-1 du Code de l’énergie dispose que « Le deuxième alinéa de l’article L. 410-2 du code de commerce s’applique : […] 2° Aux tarifs réglementés de vente d’électricité ; […] ».
Pour mémoire, L. 410-2 du Code de commerce dispose dans son alinéa 2 que « Toutefois, dans les secteurs ou les zones où la concurrence par les prix est limitée en raison soit de situations de monopole ou de difficultés durables d’approvisionnement, soit de dispositions législatives ou réglementaires, un décret en Conseil d’Etat peut réglementer les prix après consultation de l’Autorité de la concurrence ».
Dans ce cadre, a été adopté le décret n°2009-975 du 12 août 2009 relatif aux tarifs réglementés de vente de l’électricité dont l’article 2 dispose que « I. Les tarifs réglementés de vente d’électricité comportent des catégories tarifaires qui sont fonction de l’impact du site de consommation sur le dimensionnement des infrastructures de réseau et du réseau auquel ce site est raccordé.
Chaque catégorie tarifaire peut comporter plusieurs options tarifaires pouvant elles-mêmes comporter chacune plusieurs versions. Les options et les versions tarifaires dépendent des caractéristiques de consommation de l’électricité.
[…]
Chaque option ou version tarifaire peut comporter plusieurs périodes tarifaires, caractérisées chacune notamment par une part proportionnelle spécifique et, le cas échéant, des modalités de calcul des dépassements de puissance et de la puissance réduite et des modalités de facturation de l’énergie réactive ».
Ainsi, conformément au décret de 2009 susvisé, les éléments qui doivent être pris en compte pour déterminer les catégories et les options tarifaires sont exclusivement l’impact du site de consommation sur le dimensionnement des infrastructures de réseau et du réseau auquel ce site est raccordé et les caractéristiques de consommation de l’électricité.
C’est en application de ce décret que l’arrêté du 13 août 2009 a été censuré par le Conseil d’Etat.

2. Conséquences de l’annulation de l’arrêté du 13 août 2009
Les conséquences de l’annulation de l’arrêté du 13 août 2009 représentent un épiphénomène au regard de l’ensemble des conséquences que suscite l’arrêt du Conseil d’Etat.
En effet, cette annulation rétroactive se traduira par une réévaluation des factures d’électricité concernant l’année 2009 tenant compte des dispositions de l’arrêté que les ministres de l’énergie et de l’économie devraient, sur injonction du Conseil d’Etat, adopter dans un délai de trois mois.
Il y a lieu de penser que cette réévaluation serait faite dans le cadre de la facture annuelle de régularisation ou dans le cadre d’une facture intermédiaire.
Par ailleurs, l’arrêt du Conseil d’Etat ne produit en tant que tel aucun impact sur les arrêtés tarifaires pour les années 2010, 2011 et 2012. En effet, le recours étant exclusivement dirigé contre l’arrêté du 13 août 2009, l’arrêt du Conseil d’Etat ne peut concerner les arrêts postérieurs.
Ainsi, il est erroné de dire que dans la mesure où les arrêtés postérieurs sont atteints de la même tare, l’arrêt du Conseil d’Etat aboutit à leur annulation.
Les délais de recours en annulation contre les arrêtés 2010, 2011 et 2012 étant épuisés, l’annulation de ces arrêtés ne peut plus être demandée.
De même, compte tenu des conséquences, d’une telle action, il est fort à parier que l’administration ne procédera pas au retrait desdits arrêtés. Demeure toutefois, la possibilité, à l’occasion d’un contentieux, d’invoquer l’exception d’illégalité de ces arrêtés.

3. Conséquences en matière de construction et de transparence tarifaire
En matière de construction tarifaire, l’arrêt du Conseil d’Etat va produire des conséquences structurantes que le délai de 3 mois dans lequel les ministres de l’énergie et de l’économie devraient adopter un nouvel arrêté ne permettra pas d’appréhender.
En effet, le Conseil d’Etat reproche à l’arrêté de 2009 un manque de transparence dans l’établissement des différentes catégories et options (tarifs bleus) et un manque de transparence concernant les critères d’application des différentes grilles tarifaires.
L’arrêté de 2009 enfreignait dès lors les articles 2 du décret de 2009 et l’article 3 de la directive de 2003 susvisés.
Toutefois, il y a lieu de souligner que le Conseil d’Etat n’a à aucun moment jugé que les catégories ne sont pas objectives ou sont discriminatoires. Il a au contraire tenu à précis rappeler que « il ne ressort pas des pièces du dossier » ou « qu’aucune disposition de l’arrêté ou de son annexe ne permet pas de connaître les critères ».
Dans ce cadre, en vue de la préparation de l’arrêté de substitution pour l’année 2009 mais surtout pour préparer l’arrêté tarifaire de 2013, deux hypothèses sont envisageables.
L’administration peut dans une première hypothèse disposer des éléments permettant de motiver de manière objective les distinctions opérées par l’arrêt de 2009 sont fondées et correspondent aux caractéristiques de consommation et permettant de préciser les critères d’application des différentes options tarifaires.
Dans cette hypothèse, il « suffira » pour l’administration de rependre l’arrêté de 2009 et de le compléter par les éléments de transparence faisant défaut dans la version annulée et ainsi se conformer à l’article 2 du décret de 2009 et à l’article 3 de la directive de 2009 et tenir compte des exigences de l’article L.337-5 « Les tarifs réglementés de vente d’électricité sont définis en fonction de catégories fondées sur les caractéristiques intrinsèques des fournitures, en fonction des coûts liés à ces fournitures ».
Il est permis de douter de la réalité de cette première hypothèse. En effet, si l’administration disposait de tel éléments, il lui aurait loisible de les verser aux débats et d’éviter ainsi la censure de l’arrêté.
Par ailleurs et surtout, les explications contradictoires données par le ministre en charge de l’économie et de la CRE, relevées par le Conseil d’Etat pour ce qui concerne les tarifs jaunes ne permettent pas de conclure à l’existence et/ou la pertinence de tels éléments de transparence, du moins pour l’ensemble des catégories et options tarifaires.
Dans une seconde hypothèse et faute pour l’administration avec l’appui d’EDF voire de la CRE, de disposer des données objectives présidant à l’établissement des grilles tarifaires, c’est à un travail de refonte en profondeur des TRV qu’il lui faudra s’atteler.
Cette refonte nécessite de repenser entièrement ces grilles tarifaires, de revoir les critères considères jusque-là comme pertinents mais qui s’avèrent inexistants ou non-objectifs, voire, le cas échéant, supprimer des catégories qui ne sont plus justifiées.
Le cadre général fixé par le Code de l’énergie ne devrait pas être impacté. En revanche, outre les futures moutures des arrêtés tarifaires, il y aurait lieu de revoir le décret de 2009 avec toutes les consultations que cela requiert.
Ce travail de refonte sur l’architecture des TRV devrait de plus être mené de pair avec le travail sur la détermination du niveau des TRV conformément à l’article L.337-6 du Code de l’énergie lequel dispose que « Dans un délai s’achevant au plus tard le 31 décembre 2015, les tarifs réglementés de vente d’électricité sont progressivement établis en tenant compte de l’addition du prix d’accès régulé à l’électricité nucléaire historique, du coût du complément à la fourniture d’électricité qui inclut la garantie de capacité, des coûts d’acheminement de l’électricité et des coûts de commercialisation ainsi que d’une rémunération normale ».
L’administration sera-t-elle en mesure de procéder à ce travail dans des délais assez courts ?
Il s’agit en somme de faire un travail qui peut-être a été fait il y a très longtemps mais qui n’a a priori pas été mené en termes d’actualisation, de révision et d’évolutions depuis de nombreuses années.

4. Observations sur la procédure d’adoption des TRV
Conformément à l’article 6 du décret de 2009 susvisé « Les ministres chargés de l’économie et de l’énergie saisissent la Commission de régulation de l’énergie du projet d’arrêté fixant les tarifs réglementés de vente d’électricité. L’avis motivé de la commission est adressé aux ministres dans le mois qui suit la réception de ce projet. Ce délai peut être porté à deux mois à la demande de la commission. Passé ce délai, l’avis est réputé favorable. Pour rendre son avis, la Commission de régulation de l’énergie s’appuie notamment sur les éléments comptables produits par Electricité de France et les distributeurs non nationalisés, conformément aux articles 25 et 27 de la loi du 10 février 2000 susvisée ».
Saisie pour avis concernant le projet d’arrêté du 13 août 2009, la CRE a rendu son avis le 10 août 2009.
Dans son avis, la CRE n’a pas abordé cette question délicate des fondements permettant d’établir les différentes catégories, options etc.
La CRE relève tout de même pour les tarifs bleus que « L’une des principales évolutions de la grille tarifaire envisagée est la différenciation des tarifs bleus entre clients domestiques et clients professionnels, eux-mêmes subdivisés en « clients domestiques collectifs et agricoles », « clients professionnels et services publics non communaux » et « services publics communaux et intercommunaux ». Chacun de ces barèmes dispose d’abonnements et de prix variables différenciés.
Même si des arbitrages tarifaires entre catégories de clients (domestiques ou professionnels par exemple) sont a priori impossibles pour des raisons légales, il est toutefois à noter que, sur certaines puissances souscrites, certaines catégories de clients pourraient y avoir économiquement intérêt ».
Une analyse approfondie de cette question de différenciation et d’arbitrages tarifaires aurait pu être menée.
Au demeurant, dans son avis en date du 23 juillet 2009 concernant le projet de décret du 12 août 2009, la CRE n’a pas abordé la question des catégories et options tarifaires.
Pour ce même projet de décret, l’Autorité de la concurrence indiquait déjà dans son avis du 27 juillet 2009 que « Le projet de texte ne définit pas, ni n’encadre les options tarifaires :
49. Le tarif réglementé recouvre en réalité un ensemble de catégories tarifaires, elles-mêmes assorties d’options et de périodes tarifaires.
50. Sur ce point, le projet de décret ne mentionne à son article 2/I que l’existence d’options pouvant donner lieu à plusieurs versions tarifaires, sans indiquer l’objectif poursuivi ni leur nature, renvoyant de fait à des arrêtés ministériels voire des décisions des fournisseurs, et indique aux articles 4 et 7 la procédure à suivre pour supprimer des options tarifaires existantes.
51. Les tarifs doivent être non discriminatoires et ceci sous tous leurs aspects, les règles générales comme les possibles modulations adoptées, et en considérant leurs conséquences pour les fournisseurs d’électricité et les clients.
52. Une modulation tarifaire n’est pas condamnable par nature, mais peut s’analyser en droit de la concurrence comme une discrimination, certains usagers étant exemptés des conditions tarifaires de droit commun. Elle doit donc être justifiée par des raisons objectives et rendues publiques. « [Le Conseil] souligne qu’il conviendrait que le barème des redevances, s’il intègre des critères de modulation, indique avec précision les objectifs poursuivis par chacun des éléments de la modulation, ainsi que ses conditions d’amplitude, afin que ces critères ne soient pas susceptibles de conduire à des discriminations entre opérateurs ayant une efficacité identique (…) » (avis n° 97-A-09 relatif à un projet de décret fixant les tarifs du réseau ferré).
53. En matière de tarification de l’électricité, l’existence et les modalités de mise en œuvre des options sont de plus déterminantes, car les modulations des tarifs (quantitatives, saisonnières, journalières, …) permettent de répondre au moins en partie à l’absence de possibilité de stockage de l’électricité et à la nécessité d’un équilibrage permanent des quantités entrant et sortant des réseaux.
54. L’obligation de transparence des règles tarifaires est donc imparfaitement remplie sur ce point.
55. Le dispositif juridique prévoyant les possibilités de modulations des tarifs réglementés doit aussi tenir compte des situations tarifaires héritées de la période antérieure à la libéralisation du marché ».
La reprise de ces passages in extenso se justifie en raison de leur caractère complet.
Compte tenu du fondement même des tarifs réglementés, à savoir l’article L. 410-2 et de la nécessité de mener une analyse concurrentielle, y compris pour les arrêtés tarifaires, le travail de refonte qui devrait être menée par l’administration devrait peut être prévoir la saisine pour avis de l’Autorité de la concurrence.
Enfin, il est clair que le signal envoyé par le Conseil d’Etat doit être regardé au-delà des TRV. Le secteur de l’énergie s’affranchit progressivement depuis son ouverture à la concurrence de pratiques et de méthodes historiques dans tous les sens de ce terme. Il est nécessaire d’accélérer ce mouvement pour toutes les constructions tarifaires et procédurales.

Mounir Meddeb, Avocat au Barreau de Paris, fondateur d’Energie-legal, cabinet d’avocats dédié secteur de l’énergie. »