Le Comité de liaison des énergies renouvelables rend publique une étude conduite par Dominique Rousseau, professeur à l’Université Paris I Panthéon Sorbonne, relative à la constitutionnalité de l’article L 11-52 du Code de l’énergie.

Cet article, « attribue la qualité de gestionnaire du réseau, au nom des collectivités, à deux acteurs : la «société gestionnaire des réseaux publics de distribution issue de la séparation entre les activités de gestion de réseau public de distribution et les activités de production ou de fourniture exercées par Électricité de France», c’est-à-dire, Électricité réseau distribution de France (ERDF), qui gère 95% du réseau, et «les entreprises locales de distribution» (ELD) » qui  gèrent les 5% restants.
Le professeur souligne évoque une disposition « un peu curieuse », organisant à la fois un quasi-monopole et « une situation contractuelle entre les acteurs du secteur. Les collectivités doivent donc contracter, mais elles n’ont ni la possibilité de refuser le contrat, ni la possibilité de choisir le partenaire contractuel. » Il considère que cela porte atteinte au « principe de libre administration » des collectivités, lequel a été renforcé par « la réforme constitutionnelle du 28 mars 2003 », faisant suite aux nombreuses lois de décentralisation votées par le Parlement. De fait, si « l’obligation de contracter avec EDF n’a pas évolué depuis 1946, la liberté des collectivités, elle, a profondément muté ».

Mieux: ce principe s’est encore renforcé « avec le développement de la QPC depuis 2009 ». Dominique Rousseau cite ainsi la décision du 2 juillet 2010 (commune de Dunkerque) où « le Conseil a estimé que le principe de libre administration des collectivités locales faisait bien partie de la catégorie des « droits et libertés que la Constitution garantit », lui ouvrant ainsi la porte du contentieux de la QPC. » Il évoque également la décision du 8 juillet 2011 censurant « les dispositions interdisant la modulation des aides publiques en matière d’eau potable et d’assainissement », estimant qu’elle est « très intéressante pour le cas présent, car elle met en lumière la liberté constitutionnelle des collectivités de gérer un service en régie si elles le souhaitent.« 

Dès lors, s’interroge le juriste, l’article L111-52 porte-t-il atteinte à la libre administration? Deux raisons emportent une réponse positive, estime-t-il.
Imposer un partenaire contractuel supprime la liberté de le choisir: « or ce choix, puisqu’il concerne une compétence normalement du ressort des collectivités, devrait être, en principe, totalement libre. »
Seconde raison: « le Conseil en a lui-même convenu dans sa décision du 30 novembre 2006. Certes, en l’espèce, les dispositions législatives critiquées concernent le gaz, et non l’électricité. Cela dit, sur ce point, le problème était similaire car les requérants reprochaient à la loi de maintenir une obligation de contracter en faveur d’une société commerciale (GDF ayant, pour l’occasion, perdu son statut d’entreprise publique). Comme pour l’électricité, il existe donc une obligation pesant sur les collectivités de concéder la distribution du réseau de gaz à une entreprise déterminée par la loi. En l’espèce, le Conseil écarte le grief en constatant un motif d’intérêt général susceptible de justifier l’atteinte à la Constitution. Mais — et c’est ce qui importe à cet instant de la démonstration — il constate aussi l’atteinte portée par la loi au principe de libre administration. »

Dans la seconde partie de son étude, Dominique Rousseau estime que l’intérêt général n’est pas « «suffisant» pour autoriser la méconnaissance d’une règle constitutionnelle ».
D’abord parce que la péréquation tarifaire peut se réaliser en dehors d’un monopole de la distribution de l’électricité. Ainsi des services de téléphonie: « les tarifs pratiqués par telle ou telle entreprise sont identiques sur l’ensemble du territoire, alors que le cout effectif du service, lui, est évidemment différent en fonction des régions concernées. » A contrario, « l’existence d’un monopole ne garantit en rien un tarif unique sur un territoire déterminé » et il cite ici des « entreprises qui, sans être dans une situation monopolistique, bénéficient d’une situation privilégiée sur un marché, notamment le marché des «abribus» ou le marché de l’eau. »

Ensuite parce que l’objectif « évidemment louable » de « cohérence du réseau de distribution de l’électricité (…) n’est pas garantie par la présence d’une seule et même entreprise. Celle-ci peut décider de concentrer ses efforts sur telle ou telle partie du réseau, pour des raisons financières, humaines, techniques, etc. » Plus que l’entreprise unique, c’est la contrainte (la régulation) qui compte.

Dominique Rousseau propose « une solution peu coûteuse » pour renforcer (rétablir?) les droits des collectivités, à savoir autoriser la création de nouvelles ELD. « Il suffit, en effet, de modifier l’article L111-54 en supprimant les mots suivants: «existant au 9 avril 1946 et dont l’autonomie a été maintenue après cette date.». En faisant cette correction, la création des ELD n’est plus limitée dans le temps et toutes les collectivités pourraient donc, à l’avenir, créer des ELD. De cette façon, le marché de l’électricité demeure réglementé et limité à quelques acteurs, ce qui permet de maintenir les exigences constitutionnelles de péréquation et de cohérence, tout en permettant aux collectivités qui le souhaitent de gérer elles-mêmes le réseau par le biais des ELD. »

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Afin de « permettre aux collectivités locales d’organiser le service public de l’énergie », le Comité de liaison des énergies renouvelables a soutenu le dépôt par Raphaël Claustre, son directeur, agissant en tant que citoyen de Paris, d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC). Celle-ci a été rejetée par le tribunal administratif de Paris. Il appartient « désormais à la cour d’appel administrative de décider de transmettre ou non cette question au Conseil constitutionnel. » Pour le CLER, il s’agit de contester le monopole légal dont bénéficie ERDF, « à l’exception du
champ très limité des entreprises locales de distribution (ELD). Or, cette disposition légale pose problème car elle place les collectivités sous la tutelle d’ERDF et les empêche d’exercer pleinement leur mission de service public. »

Cliquez ici pour consulter la requête de Raphaël Claustre.

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En savoir plus :
– « Quel mode de gestion pour les services publics locaux de l’électricité? » – Livre blanc de la FNCCR;
– Les analyses du Cabinet Seban (écrites par Marie-Hélène Pachen-Lefèvre et Cécile Fontaine), consacrées à la passation des concessions de distribution d’électricité;
– Renouvellement du contrat de concession de la Ville de Paris: entretien avec Denis Baupin;
– Renouvellement des concessions: analyse de Maître Cossalter;
– Renouvellement du contrat de concession: quelles options?, analyse de Philippe Terneyre, professeur de droit public à l’université de Pau et des Pays de l’Adour (compte-rendu du colloque du Sipperec du 22 juin 2010, pages 6-7 – attention document PDF de 3,7 Mo).