Ce 21 septembre 2015, Pauline Gabillet, doctorante à l’ENPC-LATTS, soutenait sa thèse : « Les entreprises locales de distribution à Grenoble et Metz ; des outils de gouvernement énergétique partiellement appropriés. » Elle a été reçue au grade de docteur en aménagement de l’espace et urbanisme. Le LATTS ne décerne pas de mention ; néanmoins, le président du jury a fait part des « félicitations du jury à l’unanimité. »

Mise à jour le 20 octobre 2015, la thèse étant désormais consultable en ligne.

La soutenance
Evoquant le « paradoxe initial » qui faisait des ELD une survivance « obsolète » de l’ancien système, Pauline Gabillet souligne leur potentielle redécouverte comme outils de la politique énergétique et climatique des villes. Sont-elles pour autant « pilotées » à cet effet ? Elle rappelle le « modèle économique » historiquement fondé sur des tarifs de cession à « un prix avantageux. » Un « point de bascule » intervient en 2008, le territoire devenant « une ressource centrale » alors qu’il paraissait handicapant à l’origine. Des appels à projets, comme ceux liés aux smart grids valorisent en effet les territoires. Néanmoins cet « ancrage territorial renforcé » n’en fait pour autant des outils exploités par les communes, alors même « qu’elles possèdent la majorité des parts. » et que l’on observe « une urbanisation croissante des questions énergétiques. » Les villes, tant à Grenoble qu’à Metz, développement des projets « d’intérêt commun » à la ville et aux ELD. C’est ce qu’elle nomme le « développement d’une coordination des réseaux énergétiques. »

Co-directrice de cette thèse, Sylvie Jaglin, professeur à l’Université Paris Est (Latts), indique que ce travail met en avant le rôle émergent des collectivités locales dans les questions d’énergie (« gouvernement énergétique ») malgré un système historiquement « très centralisé. » Ce n’est pas une politique en soi mais plutôt une politique par défaut, résultant de son imbrication dans différents outils : urbanisme, aménagement, climat… « La transition énergétique demeure un objectif imbriqué » dans d’autres politiques locales. « Le pilotage climato-énergétique des municipalités reste flottant », faute d’objectifs partagés et de compétences dédiées. Le pilotage politique, « les municipalités n’étant pas des acteurs monolithiques », se traduit par des « compromis. »

Second co-directeur de cette thèse, François-Mathieu Poupeau, chargé de recherches au CNRS, fait part des « trois apports » de cette recherche :
– utiliser comme « entrée l’outil que sont les ELD sans tomber dans les travers d’une étude de la gouvernance » ;
– appréhension des ELD, un type d’opérateurs peu connu en France ;
– mise en valeur de l’articulation entre les différents acteurs (ELD, municipalités, syndicats d’énergie…) et les différentes échelles (national et local).
« On voit bien que ce qui freine l’appropriation locale de l’énergie, c’est le poids de l’Etat et des opérateurs nationaux, mais aussi les difficultés qu’ont les municipalités à s’affirmer comme acteur collectif. » La thèse montre aussi qu’il y a « beaucoup d’élus qui ne sont pas convaincus par l’énergie. »

Rapporteur, Cyria Emelianoff, professeur à l’Université du Maine (ESO, Le Mans) souligne que « cette thèse porte sur deux cas mais aussi l’ensemble des ELD ». La mise en exergue des enjeux économiques, qui ont un impact sur les politiques municipales : « Les ELD sont des poules aux œufs d’or. A Metz, UEM rapporte 8 millions d’euros par an et les impôts locaux n’ont pas augmenté depuis 20 ans. » Elle évoque aussi de probables changements, avec par exemple le pilotage de GEG par « Vincent Fristot, un des fondateurs de Négawatt », que la thèse n’a pu aborder. Après avoir investi dans la production, les ELD peuvent-elles « trouver un autre modèle économique fondé sur la réduction de la consommation de leurs clients », comme cela a pu être observé en Californie ? Pauline Gabillet objecte que le modèle français est différent, les investissements dans le réseau ne présentant « pas de risque » et la fourniture au tarif réglementé étant suffisamment rentable pour continuer « à fournir toujours plus de clients. » Néanmoins, d’autres sources de revenus (production, smart grids…) se dessinent.

Egalement rapporteur, Alain Faure, directeur de recherches au CNRS, s’intéresse à des « logiques qui dépassent » les acteurs locaux : « le local subit son destin. Mais, dans quelle mesure le local ne choisit pas son destin ? » Il regrette l’absence de comparaisons avec d’autres villes, notamment à l’international, qui auraient pu donner des clefs de compréhension de « l’appropriation » et de la « politisation : à GEG, la question de l’énergie est tout à fait secondaire. L’enjeu principal est ailleurs. »

Jochen Monstadt, professeur à la Technische Universität de Darmstadt, estime qu’en dépit de différences marquées entre les systèmes allemands et français, des points de convergence sont observables. Il en veut pour exemple une centralisation nouvelle de la question énergétique au niveau fédéral, résultant à la fois de préoccupations environnementales et de productivité industrielle. Il s’interroge néanmoins sur les outils contractuels, Ce à quoi Pauline Gabillet fait observer qu’ils sont relativement peu utilisés, comme en témoignent les contrats de concession – parfois perçus dans une logique de partenariat. « Les collectivités sont propriétaires des réseaux d’énergie mais n’en ont pas historiquement la maîtrise. »

Témoignage d’un « praticien » avec Livier Vennin, délégué mission Grand Paris à EDF, qui pose la question « de politiques urbaines » confrontées à l’émergence d’une « politique énergétique. » Et d’interroger la récente salariée lyonnaise (1) : « qu’est-ce qui vous étonne dans votre nouveau poste ? » Elle fait part de « l’énorme difficulté » quand on est dans les services à infléchir des politiques, notamment dans l‘énergie, compte tenu de la « technicité » du sujet, mais que cela laisse en fait « beaucoup de marge. »

En conclusion, Dominique Lorrain, directeur de recherche émérite au CNRS, souligne le paradoxe d’une concurrence censée se traduire par des marges de manœuvre et qui réduit en fait la liberté d’action : des clients qui quittent l’ELD, des tensions sur les prix…. « Vous êtes libres mais moins riches qu’avant ! » D’où l’intérêt de « politiques énergétiques locales qui redonnent du sens aux ELD », qui ne sont en fait qu’une « politique désenchantée résultant de cette nouvelle donne. » Et, comme la décentralisation a compliqué la donne (« si l’on parle du mille-feuilles, c’est que ça veut dire quelque chose »), la territorialisation des politiques énergétiques ne va pas de soi. Il n’y a pas forcément de « lien de proximité » entre la municipalité et l’ELD.

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Pauline Gabillet est désormais chargée de mission planification énergétique à la Métropole de Lyon. Elle est lauréate du Prix de l’AARHSE 2014 (bourse doctorale).