Dans le cadre des florilèges du droit public, une série de conférences organisées à l’initiative de l’Institut de droit public des affaires, le Cabinet Seban évoquait, ce vendredi 22 octobre, l’ouverture à la concurrence des concessions d’énergie.
Le sujet n’est pas anodin, il suffisait de traverser l’esplanade des Invalides, il y avait des mini-viennoiseries: autant de raisons pour dépêcher un envoyé spécial.
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« Les collectivités locales s’interrogent sur le devenir des concessions de distribution et de fourniture d’électricité », a énoncé Marie-Hélène Pachen-Lefèvre, avocate associée au Cabinet Seban, soulignant que ces concessions « reposent sur un régime très fortement dérogatoire (…) surtout au regard du droit communautaire ».
Elle a ensuite énoncé « les paradoxes du mode de gestion » des services publics de fourniture et distribution d’électricité. D’abord, observe-t-elle, s’il s’agit de contrats de concessions locales, elles sont signées avec un opérateur obligé, désigné par la loi. La tarification est nationale. Quant aux cahiers des charges, ils sont négociés au niveau national entre la FNCCR et EDF, et, aujourd’hui, ERDF. Pointant « une multitude de dérogations » au droit des concessions, elle s’interroge: « ont-elles vocation ou pas à perdurer? Sont-elles justifiées? » S’agit-il vraiment de concessions dans la mesure où elles « sont exclues du champ des dispositions de «loi Sapin» applicables aux délégations de service public du fait du monopole institué par la loi aux opérateurs concernés (article L 1411-1 du CGCT) »? A ce titre, elle cite trois exemples illustrant ce caractère dérogatoire: « le pouvoir, et même le devoir, dit la jurisprudence , de contrôle de l’autorité concédante » (Ainsi, les rapports d’activité montrent les difficultés rencontrées par les autorités concédantes pour obtenir les informations nécessaires au contrôle. Il n’y a pas de remise spontanée des rapports d’activité, qui sont tenus à disposition de l’autorité organisatrice qui requiert ces informations [article L 2224-31 CGCT]), les conditions de (non) renouvellement, le choix du mode de gestion (régie ou concession).
S’agissant de la fin des contrats, elle indique que l’article 31 du cahier des charges type prévoit l’hypothèse du non renouvellement, avec une clause de rachat de la concession au motif que le maintien du service ne présenterait plus d’intérêt, soit parce qu’il serait remplacé par un service nouveau tenant compte des progrès de la science, soit en raison d’un changement important de la situation économique. Elle pose la question de savoir si ces contrats ne pourraient pas être qualifiés de contrats à durée indéterminée, dont la résiliation pourrait intervenir à tout moment sans indemnité.
Enfin, s’agissant des conditions de renouvellement des concessions d’énergie, le Cabinet Seban a détaillé les termes de l’article 106 du Traité sur l’Union européenne ainsi que quelques étapes jurisprudentielles: commune d’Almelo (27 avril 1994), Coname (CJCE, 21 juillet 2005), Communauté urbaine de Bordeaux (1er avril 2009), TA de Caen (15 novembre 2005)… sans oublier la décision du Conseil constitutionnel du 30 novembre 2006 , justifiant le monopole de Gaz de France par des impératifs de cohérence du réseau de gaz naturel et de péréquation. « Ce sont les deux arguments qui sont toujours utilisés pour justifier le caractère dérogatoire et le monopole » de cette activité. Pourtant, « plusieurs éléments paraissent de nature à remettre en cause ces deux arguments ». L’exploitation d’un réseau de distribution, comme les interconnexions entre les réseaux exploités par les DNN ou ERDF le montrent, ne pose pas de difficultés dès lors que sont partagées les mêmes règles techniques. En outre, le monopole naturel n’est pas forcément la solution la plus efficace : la dégradation de la qualité de distribution électricité ces dernières tendrait à prouver le contraire. Quant à la péréquation, elle « est déjà en partie assurée hors du monopole légal via des fonds comme le FACE (fonds d’amortissement des charges d’électrification) et le FPE (Fonds de péréquation de l’électricité) ».
Estimant la mise en concurrence inévitable, le Cabinet Seban considère que plusieurs points méritent une attention particulière
– L’obtention des informations: pour les collectivités, il importe d’avoir une bonne appréhension du contenu de ces services publics si demain il fallait écrire un cahier des charges pour mettre le distributeur en concurrence ou gérer le service en régie : inventaire, cartographie, qualification des ouvrages (biens de retours, propres, reprise), gestion du personnel, informations comptables et financières…
– Les fichiers clients (qui posent la question des informations commercialement sensibles (ICS). Or, il faudra bien avoir ces informations.
– Le devenir des provisions pour renouvellement. Dans l’électricité, il faut observer que la loi du 9 août 2004 permet aux GRD de ne pas constituer de provisions pour le renouvellement des ouvrages dont l’échéance est postérieure au terme normal de la concession difficultés d’interprétation.
– La valorisation du « ticket de sortie » au profit du concédant/concessionnaire.
En termes de calendrier, le Cabinet Seban estime qu’il faut compter jusqu’à quatre années pour bien préparer un renouvellement de concession: un à deux ans pour « pouvoir vraiment faire un bilan, d’autant plus qu’on hérite situation passée qui a beaucoup duré ». La rédaction du cahier des charges (deux concessions? Quelle durée?) est complexe : elle peut prendre 3 à 6 mois. La procédure à proprement parler, durera de 12 à 14 mois, « surtout s’il y a une vraie phase de négociation ».
Et les regards se tournent vers la ville de Lyon qui, décidera ou non, de mettre ERDF et EDF en concurrence.
Consulter notre calendrier des renouvellements de contrats de concession.
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Etat des lieux juridique
En préalable, Marie-Hélène Pachen-Lefèvre a brossé un tableau des différents textes qui régissent le paysage électrique et gazier français.
– La loi du 15 juin 2006, qui établit le service public sous le régime de la concession locale (ou, parfois, de la permission de voirie) ;
– La loi du 8 avril 1946 avec la nationalisation d’EDF et de Gaz de France, les distributeurs non nationalisés (DNN) restant hors du périmètre de ces entreprises.
– La directive 96/92/CE du 19 décembre 1996 qui prévoit une ouverture partielle à la concurrence des marchés de l’électricité et du gaz, ainsi que la dissociation comptable des activités de production, fourniture et d’acheminement.
– La loi du 10 février 2000 qui définit notamment les composantes du service public de l’électricité (production, exploitation et développement des réseaux de transport – plus de 50 KV, dévolus à RTE, exploitation et développement des réseaux de distribution, dévolus à ERDF et aux DNN, fourniture), crée RTE et la Commission de régulation de l’énergie (CRE).
– La directive 2003/54/CE du 26 juin 2003 qui prévoit une ouverture complète à la concurrence des marchés de l’électricité et du gaz en 2007, la séparation juridique des activités de production, fourniture et d’acheminement, ainsi que la désignation, par les Etats-membres, des gestionnaires des réseaux de distribution (GRD) pour une durée déterminée en fonction de considération d’efficacité et d’équilibre économique (un rappel est effectué dans la directive 2009/72/CE du 13 juillet 2009).
– La loi du 9 août 2004 qui confère à EDF le statut de société anonyme, filialise RTE et détermine la répartition du patrimoine entre RTE (transport) et les autorités concédantes (distribution)
– La loi du 7 décembre 2006, qui crée un Médiateur national de l’énergie, permet le libre choix du fournisseur pour tous les consommateurs au 1er juillet 2007, prévoit la séparation juridique des activités de distribution (avec la création d’ERDF au 1er janvier 2008).
– La directive 2009/72/CE du 13 juillet 2009 (qui doit être transposée en droit français en mars 2011) renforce la protection des consommateurs et le rôle des autorités de régulation, ainsi que l’indépendance des GRT, rappelle aux Etats-membres qu’ils doivent désigner un ou plusieurs GRD, prévoit la mise en place de compteurs évolués.
– La loi du 7 juin 2010 qui organise la réversibilité pour le gaz et l’électricité.
Enfin, le projet de loi NOME a été rappelé. Ce texte s’inscrit dans le prolongement des réflexions de la commission Champsaur et dans un contexte délicat, la Commission ayant lancé deux procédures contentieuses à l’encontre de la France. Le projet de loi NOME prévoit un accès régulé à l’électricité nucléaire historique (ARENH) pour les concurrents d’EDF: « tout fournisseur va bénéficier de l’avantage compétitif du nucléaire (…). Il y aura probablement un alignement des offres de marché sur les tarifs réglementés », à échéance 2015, observe Cécile Fontaine, avocate au Cabinet Seban. L’activité d’achat pour revente sera soumise à un régime d’autorisation (et non plus de déclaration). NOME prévoit le maintien des TRV bleus sans limite de durée et des TRV jaune et vert (+ de 36 KVA) jusqu’en 2015. La CRE proposera les tarifs réglementés (aujourd’hui, elle donne un avis). Le texte organise la réforme des taxes locales sur l’électricité, permet aux DNN de devenir des sociétés publiques locales (SPL), fait financer le raccordement au réseau par les producteurs, renforce les droits des consommateurs (réversibilité immédiate), fait obligation aux GRD de communiquer aux autorités concédantes leur politique d’investissement et de développement des réseaux.
> Ce texte doit être examiné en deuxième lecture à l’Assemblée nationale d’ici fin 2010.