Le jugement est intervenu en août 2012 après presque neuf ans d’instruction, la première plainte remontant en octobre 2003, lorsque trois agents ou anciens agents d’EDF GDF critiquaient la « gestion du 1% du produit des ventes d’électricité et de gaz mis à disposition de la CCAS pour des fins sociales ». Ils estimaient que la CCAS finançait « directement ou indirectement des activités sans rapport avec sa mission », qu’il s’agisse d’emplois fictifs, de prestations surfacturées ou de « prestations en restauration pour des organisations tierces. » Un cadre d’EDF mis à disposition de la CCAS témoignait en ce sens: achat de 77.000 exemplaires du journal L’Humanité, création ad hoc de société pour répondre à un appel d’offres, subventions déguisées au PCF ou à la Fête de l’Humanité, de diverses prestations, paiement de repas pour les fédérations syndicales CGC et CGT… Entendus, le commissaire aux comptes a déploré « l’absence de tout contrôle interne efficace » et le contrôleur EDF GDF a fait « part de ses interrogations sur plusieurs points (location de véhicules auprès d’une société inconnue sur le marché…). »
Le 19 février 2004, une information judiciaire contre X est ouverte pour « abus de confiance, escroquerie, faux et usage de faux, complicité et recel. » Des perquisitions sont effectuées au siège de la CCAS, celui de l’Iforep, du journal L’Humanité et de la société Comediance. Les documents saisis ne permettent « pas d’établir l’existence d’irrégularités », à l’exception des opérations avec l’Iforep. Ainsi celle-ci, via sa division audiovisuelle, captait des images de concerts lors de la Fête de l’Humanité, le coût de ces prestations de 1997 à 2005 s’élevant à 1.119.497 euros, « entièrement supporté par la CCAS, sans contrepartie sérieuse et justifiée. » Le président du CCAS confirmait connaître ces prestations sans savoir qu’elles étaient assumées par la CCAS. Il apparaît enfin que la Fête de l’Humanité n’est pas enregistrée comme un « client normal » de l’Iforep, apparaissant sous le code « SOU de Soulac. » Les captations de concerts avaient vocation à être diffusées dans les centres de vacances. Pour un ancien directeur de l’Iforep, celle-ci devait être considérée comme « une émanation de la CCAS », son successeur contestant « avoir fait travailler la DAV de l’Iforep pour le quotidien L’Humanité. » Interrogé, le directeur de la Fête de l’Humanité de 1997 à 1999 a indiqué que le responsable des activités culturelles de la CCAS lui avait proposé de prendre en charge cette captation, ce qu’il avait accepté « compte tenu notamment de l’économie réalisée (200 à 400.000 francs). »
Des irrégularités ont été également constatées avec la SARL Compact, laquelle dissimulait « l’identité des réels bénéficiaires des commandes effectuées par la CCAS », un système de « factures aménagées » profitant à « deux périodiques proches du PCF et de la CGT, Hebdo et Regards. »
S’agissant des emplois fictifs, les enquêteurs ont entendu des personnes salariées par la CCAS mais travaillant soit pour la FNME CGT soit pour le PCF (fédération des Hauts-de-Seine, par exemple). La « mise à disposition d’agents par EDF-GDF, en qualité de personnel administratif, au bénéfice de la fédération CGT » était connue des autorités de tutelle (Digec, Dideme) et de la direction des ressources humaines d’EDF-GDF, une « pratique dérogatoire aux règles du droit du travail. » En outre, des salariés de la CCAS rédigeaient des articles pour le compte de publications de la CGT (Force info énergie, Nouvelle vie ouvrière).
16 personnes physiques et morales ont été mises en examen, entre 2007 et 2010 (président de la CCAS, salariés de la CCAS, salariés et présidents de l’Iforep, directeur général adjoint de la CCAS, CGT, gérant des sociétés Compact et All Access, Fédération nationale des syndicats et salariés des mines et de l’énergie – FNME-CGT, société Nouvelle vie ouvrière, Société nouvelle du journal L’Humanité – SNJH, Institut de formation de recherche et de promotion). Les charges étaient multiples: abus de confiance, recel, faux et usage de faux, complicité.
8 personnes morales se sont constituées parties civiles: la Fédération chimie énergie de la CFDT, la CCAS, les sociétés EDF et GDF (devenue GDF Suez), la Fédération CFE-CGC des industries électriques et gazières, la Fédération Sud énergie, la FNEM FO, le Syndicat Sud des fonctions centrales et des activités sociales de l’énergie.
Le jugement évoque également les contrôles effectués par la cour des comptes (par exemple celui de 2011), faisant état de « nombreuses et graves irrégularités. » Pour la Cour, « le rôle prépondérant détenu sans interruption depuis 1946 par la FNME CGT (…) a favorisé un certain nombre de dérives et même d’agissements frauduleux. »
Sans retenir « les faits d’escroquerie et de détournement de fonds publics », faute de « charges suffisantes » (non-lieu partiel), le TGI de Paris renvoie l’affaire devant le tribunal correctionnel.
Cliquez ici pour télécharger l’ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel et de non-lieu partiel du Tribunal de grande instance de Paris (Me Jean-Marie d’Huy, vice-président chargé de l’instruction), du 27 août 2012 (attention: doc. PDF de 1,6 Mo).