Nous publions ci-après une tribune* co-signée par François Lévêque, professeur d’économie à Mines ParisTech, Gildas de Muizon, directeur de Microeconomix, Vincent Rious, économiste de Microeconomix, et Marcelo Saguan, économiste de Microeconomix.
> Hier, Eric Besson, ministre chargé de l’Industrie, de l’Energie et de l’Economie numérique, a rendu public le rapport de RTE sur la mise en place d’un mécanisme d’obligation de capacité électrique en France (rapport téléchargeable ici – attention: PDF de 7,8 Mo).
« De la nécessité d’assurer le bouclage du futur marché français de capacité
A l’heure actuelle, le fonctionnement concret des marchés libéralisés de l’électricité ne permet pas de fournir aux acteurs les signaux adéquats pour assurer un niveau efficace d’investissement dans les capacités susceptibles de satisfaire la demande à la pointe. La principale raison de cette imperfection réside dans le fait que les marchés rémunèrent quasi exclusivement l’énergie produite et qu’ils font l’objet de divers mécanismes de régulation visant à plafonner les prix durant les périodes de tension du système. L’apparition des périodes de tension est en outre très aléatoire et leur ampleur est très variable d’une année sur l’autre. Il en résulte un problème de missing money, pouvant conduire à un niveau insuffisant d’investissement dans les capacités susceptibles d’être mobilisées pour satisfaire la demande à la pointe.
Afin de garantir le respect de l’objectif de sécurité du système électrique, il est nécessaire de remédier à cette imperfection du marché de l’énergie, en mettant en place un dispositif permettant d’assurer une rémunération complémentaire des capacités. Pour ce faire, il est possible, comme le prévoit la loi NOME**, de mettre en place un système d’obligations de capacité. Le principe est le suivant: chaque fournisseur d’électricité se voit attribuer, en fonction de la contribution de son portefeuille de clients à la consommation de pointe, une obligation de capacité qu’il doit satisfaire avec ses propres capacités ou en acquérant des certificats de capacité auprès d’autres acteurs. En d’autres termes, chaque fournisseur doit disposer ou acquérir des certificats de capacité à hauteur des besoins de couverture de la consommation de ses clients, augmentée d’une marge de sécurité fixée par la puissance publique.
Le gestionnaire de réseau français, RTE, vient de remettre, au Ministre chargé de l’Industrie, de l’Energie et de l’Economie numérique, un rapport sur la mise en place du mécanisme d’obligation de capacité prévu par la loi NOME. Le rapport se prononce en faveur d’une organisation « basée sur l’engagement de tous dans le respect des responsabilités attribuées par la loi » qui permettrait « une implication réelle des fournisseurs dans les efforts de maîtrise de la consommation en période de pointe ». Selon RTE (p. 7), « l’atteinte des objectifs du mécanisme, et notamment celui d’une maîtrise de la consommation à la pointe, repose donc sur le choix d’une architecture réellement responsabilisante ».
Cependant, il ne suffit pas, pour atteindre cet objectif, de définir une contrainte globale, de la décliner en obligations individuelles imposées à chaque fournisseur et de laisser faire ensuite le marché. En effet, les performances d’un mécanisme d’obligation de capacité en termes d’effectivité (atteinte de l’objectif défini) et d’efficacité (minimisation du coût) sont compromises par deux spécificités déterminantes :
– d’une part, le respect de la contrainte globale (dimensionnement du parc : capacités de production et d’effacement) est crucial car sinon on n’assure plus la sécurité du système et on expose l’ensemble des acteurs à une défaillance du système;
– d’autre part, les cycles d’investissement dans de nouvelles capacités de production sont de plusieurs années, ce qui limite considérablement les marges d’ajustement à court terme.
Dans ces conditions, il est indispensable de disposer d’un mécanisme de bouclage qui permette de s’assurer avec suffisamment d’anticipation que l’objectif global de capacité sera atteint, en particulier lorsque le marché de détail est libéralisé (i.e., les clients sont libres de choisir leur fournisseur). Ce qui pose problème dans un système sans bouclage, c’est que la somme des prévisions de part de marché des fournisseurs n’a aucune raison de correspondre à 100%: lorsque la prévision est réalisée par les fournisseurs comme c’est le cas dans un mécanisme défendu par RTE, elle emporte une incertitude supplémentaire sur l’évolution de leur portefeuille. Dans ces conditions, il est probable que les fournisseurs anticipent mal leur obligation. La contrainte globale d’adéquation ne serait donc pas respectée, ce qui compromettrait la sécurité du système.
L’introduction d’un mécanisme de bouclage remédie à ce problème. Concrètement, l’introduction d’un mécanisme de bouclage consiste à organiser une enchère à laquelle tous les détenteurs de capacités doivent participer et permettant au gestionnaire du réseau d’acheter la capacité additionnelle nécessaire pour assurer la couverture des besoins, compte tenu des actions individuelles de couverture déjà entreprises par les fournisseurs. L’objectif est de s’assurer, suffisamment longtemps à l’avance, que la sécurité d’alimentation sera bien respectée.
Les retours d’expérience des dispositifs mis en œuvre aux Etats-Unis sont riches d’enseignement, car les premiers dispositifs de capacité y ont été lancés il y a plus d’une dizaine d’années. Les résultats mitigés des premiers dispositifs n’incluant pas de mécanisme de bouclage ont conduit (ou sont sur le point de conduire) à leur profonde refonte et à l’inclusion systématique d’un mécanisme de bouclage.
La mise en œuvre d’un mécanisme de bouclage permet de concilier efficacement la nécessité d’offrir aux acteurs une visibilité à moyen terme avec celle d’assurer la sécurité du système. Un mécanisme de bouclage s’adapterait efficacement au marché électrique français et présenterait plusieurs avantages. Il permettrait un pilotage fin et concerté des besoins de capacité. Grâce à un signal-prix connu à l’avance, il faciliterait également l’entrée de nouveaux producteurs ou agrégateurs d’effacement sur le marché. Le mécanisme de bouclage assurerait une répartition efficace des risques et des incitations entre les différents acteurs. En particulier, les fournisseurs seraient protégés contre les risques d’erreur de prévision de leur portefeuille tout en ayant l’incitation à faire diminuer la demande de leurs consommateurs pour limiter leur exposition au prix d’enchère du mécanisme. »
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* Cette tribune est une synthèse des résultats présentés dans un article à paraître dans la Revue de l’Energie et disponible ici;
** Article 6 de la loi n° 2010-1488 du 7 décembre 2010 portant nouvelle organisation du marché de l’électricité.