Comme annoncé lors de l’audience de la Cour de justice de l’Union européenne du 24 avril dernier dans le cadre de l’examen de la question préjudicielle posée par le Conseil d’Etat, l’avocat général, M. Niilo Jääskinen, a présenté ce jour ses conclusions le 11 juillet.

Comme anticipé par une majorité de juristes, l’avocat général propose à la CJUE de répondre comme suit : « Un mécanisme de financement de l’obligation d’achat de l’électricité produite par les installations utilisant l’énergie mécanique du vent, qui repose sur une taxe prélevée sur tous les consommateurs finals d’électricité sur le territoire national, tel que celui résultant de la loi n° 2000 108, du 10 février 2000, relative à la modernisation et au développement du service public de l’électricité, telle que modifiée, relève de la notion d’intervention de l’État ou au moyen de ressources d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE ».

Pour aboutir à cette réponse et compte tenu du caractère circonscrit de la question posée par le Conseil d’Etat, l’avocat général n’a pas procédé à l’analyse classique des quatre conditions cumulatives de la notion d’aide d’Etat mais s’est contenté d’analyser la première à savoir la vérification d’une intervention d’État ou au moyen de ressources d’État.

L’avocat général passe rapidement sur le critère de l’imputabilité en considérant qu’« En effet, étant donné que la contribution prélevée auprès des consommateurs finals a été instituée par la loi n° 2000 108 modifiée, il est justifié de considérer que ce sont les pouvoirs publics qui sont à l’origine du régime contesté ».

Pour ce qui concerne le critère de l’origine étatique des ressources, au prix d’une démonstration assez détaillée, l’avocat général a considéré que compte tenu du régime de fixation de la CSPE, de la nature d’imposition de la CSPE et du fait que les montants collectés restent constamment sous contrôle public et notamment la CDC, il s’agit d’une intervention de l’État ou au moyen de ressources d’État.

Naturellement, la Cour de justice est souveraine et n’est pas tenue par les conclusions de l’avocat général et il est arrivé qu’elle adopte une solution distincte ou parfois un raisonnement différent. Toutefois, ces cas sont rares et, compte tenu du cadre juridique applicable en l’espèce, la Cour de justice devrait en toute rigueur aboutir à la même conclusion ouvrant la voie à la qualification d’aide d’Etat par le Conseil d’Etat.

Le Conseil d’Etat demeure libre quant aux suite à donner au recours pendant devant lui. Ainsi comme l’indique l’avocat général « lorsque la Cour est saisie d’un renvoi préjudiciel, sa fonction consiste à éclairer la juridiction nationale sur la portée des règles de l’Union afin de permettre à celle ci de faire une correcte application de ces règles aux faits dont cette juridiction est saisie et non à procéder elle même à une telle application, et ce d’autant que la Cour ne dispose pas nécessairement de tous les éléments indispensables à cet égard».

Toutefois, compte tenu de la teneur de son arrêt du 15 mai 2012 (Association Vent de Colère! Fédération Nationale et autres, n°324852) et de la teneur de la question préjudicielle et étant donné que, comme l’a rappelé le Gouvernement français dans ses observations, le Conseil d’Etat considère d’ores-et-déjà que les trois autres conditions de la notion d’aide d’Etat sont remplies, l’annulation de l’arrêté tarifaire devrait être prononcée.

Ainsi, au-delà des raisonnements théoriques, en pratique c’est bien la qualification d’aide d’Etat qui a été retenue. Le Gouvernement français ne s’est d’ailleurs pas trompé et a indiqué dans un communiqué de presse du 11 juillet que « […] cette aide d’État n’a pas été préalablement notifiée à la Commission européenne par le précédent Gouvernement, ce qui la rend illégale » et « l’avocat général […] a rendu ses conclusions aujourd’hui. Il conclut à l’existence d’une aide d’État ».

En effet, si la comptabilité quant au fond du système de compensation de l’obligation d’achat avec le droit européen peut être soutenue, l’absence de notification préalable à la Commission européen rend ipso facto ce système illicite.

Le CJUE pourrait-elle moduler l’effet de sa réponse dans le temps ? Souhaitant anticiper la réponse de la Cour de justice, le Gouvernement français a demandé à la Cour dans le cas où elle retiendrait la qualification de ressources d’Etat, de limiter dans le temps les effets de sa réponse.

Cette demande témoigne d’une méconnaissance de l’objet des renvois préjudiciels. Ainsi, comme l’a rappelé l’avocat général « ladite demande ne saurait prospérer au regard de la portée de la question préjudicielle, la Cour étant en l’espèce amenée à se prononcer sur un seul élément de la notion d’aide d’État ».

L’avocat général rappelle toutefois la possibilité, exceptionnelle, pour la Cour de limiter la possibilité d’invoquer une disposition telle qu’interprétée sous réserve de la réunion de deux conditions cumulatives. La première, le nombre élevé des rapports juridiques établis de bonne foi, semblerait vérifiée pour l’avocat général. En revanche, la deuxième, l’existence d’une incertitude objective quant à la portée de dispositions du droit européen, lui semblerait non vérifiée.

Or sur ce point le raisonnement de l’avocat général devrait être nuancé. En effet, il pourrait être invoqué que compte tenu de la proximité des mécanismes de FSPPE et de CSPE et de l’évolution récente apportée par la CJUE en 2008 dans son arrêt Essent par rapport à la date d’adoption de l’arrêté contesté, c’est légitimement que la France n’a pas pu considérer que la modification du mode de financement a fait basculer le dispositif dans la catégorie des aides d’Etat.

Le Conseil d’Etat pourrait moduler l’effet de l’annulation de l’arrêté en écartant tout effet rétroactif voire en accordant du Gouvernement un délai (comme cela a été le cas lors de l’annulation du TURPE 3, CE, 28 novembre 2012, n°330548, 332639, 332643), pour élaborer, notifier à la Commission européenne et appliquer un nouvel arrêté tarifaire dont la Commission européenne aurait apprécié la compatibilité avec le droit européen.

Toutefois, en matière d’aide d’Etat, le Conseil d’Etat est tenu par les principes communautaires régissant les aides d’Etat et prévoyant que toute aide d’Etat non notifiée est illégale et doit en principe donner lieu à un remboursement de la part des bénéficiaires.

Est-ce que le Conseil d’Etat irait à l’encontre de ces principes compte tenu des conséquences lourdes d’une annulation pure et simple de l’arrêté tarifaire ou est-ce qu’il préférerait laisser au Gouvernement le soin de négocier avec la Commission européenne la suite à donner à une annulation de cet arrêté ? De même, le Conseil d’Etat aborderait-il la problématique sous l’angle de la notion de service d’intérêt économique général, comme semble l’y inviter l’avocat général (pt 62) ?

En tout état de cause, la responsabilité pèse désormais sur le Gouvernement qui doit, d’une part, notifier à la Commission européenne un nouvel arrêté tarifaire et, d’autre part, trouver une solution négociée avec la Commission pour éviter une remise en cause des aides déjà accordées.

Dans ce sens, le communiqué de presse du ministère de l’énergie indique que « Les autorités françaises ont engagé dès le 22 avril 2013 une procédure de pré-notification du dispositif de soutien à l’éolien terrestre. La procédure de notification sera engagée sans attendre ». S’il faut saluer cette initiative claire, il y a lieu de regretter son caractère tardif. Les conclusions de l’avocat général aurait dû être anticipées.

A cet égard, si la signature anticipée des contrats d’achat mise en place depuis avril dernier ne sécurise pas les projets éoliens dans la mesure où elle ne peut écarter la qualification d’aide d’Etat, elle pourrait constituer un critère objectif pour déterminer auprès de la Commission européenne les projets dont les tarifs ne devraient pas être remis en cause.

Il est vrai que l’avocat général a rappelé que « sous peine de porter atteinte à l’effet direct de l’article 108, paragraphe 3, dernière phrase, TFUE, la décision finale de la Commission n’a pas pour conséquence de régulariser, a posteriori, les actes d’exécution qui étaient invalides du fait qu’ils avaient été pris en méconnaissance de l’interdiction visée par cet article. Toute autre interprétation conduirait à favoriser l’inobservation, par l’État membre concerné, de cette disposition et la priverait de son effet utile ».

Toutefois, comme cela a été abordé ci-dessous, une argumentation basée sur la proximité entre le FSPPE et la CSPE et les principes de confiance légitime et de bonne foi pourrait prospérer auprès de la Commission européenne.

Enfin, toutes les énergies renouvelables en France bénéficiant du même mécanisme de financement, la notification à la Commission européenne ne doit pas porter que sur l’éolien mais doit porter sur un texte-cadre couvrant l‘ensemble des énergies renouvelables concernées.

A cet égard, si le ministre de l’énergie précise dans le communiqué de presse « à tous les professionnels des énergies renouvelables concernés par les tarifs de rachat (l’éolien, mais aussi la biomasse, le photovoltaïque,…) que le Gouvernement assumera ses responsabilités et continuera de prendre toutes les dispositions nécessaires pour garantir la sécurité juridique et la continuité des mécanismes de soutien au développement de l’éolien et plus largement des énergies renouvelables », il rappelle que la pré-notification n’a concerné que l’éolien terrestre. Or ce qui n’a pas été anticipé pour l’éolien devrait l’être pour les autres filières.

—————————————–

Mounir Meddeb, Avocat au Barreau de Paris, fondateur d’Energie-legal, cabinet d’avocats dédié exclusivement au secteur de l’énergie