Lancées le 29 mai dernier, les Assises du numérique se déclinent depuis en ateliers thématiques, soit locaux soit nationaux. Les débats et propositions de ces diverses rencontres nourrissent le travail gouvernemental pour le lancement d’un plan national du très haut débit. La FNCCR et le SIDEC Jura ont co-organisé un atelier « Grand Est » à Lons-le-Saunier, lundi 23 juin. Synthèse.

Le très haut débit pour tous ?
Pour Gilbert Blondeau, président du Syndicat mixte d’énergies, d’équipement et de e-communication du Jura (SIDEC), qui observe une « montée en puissance des débats autour du haut débit », il y a « urgence » à ce que les collectivités, particulièrement celles qui sont responsables de services publics en réseau, se saisissent du dossier du très haut débit. C’est un dossier très important, confirme Gérard Bailly, sénateur du Jura et vice président du Conseil général, « sans doute aussi important que le fut en son temps celui de l’électrification ».
Les témoignages montrant la nécessité d’irriguer les territoires en haut et très haut débit se multiplient. Ainsi à Mont-sur-Monnet dont le maire, Gérard Mauborgne, indique « ne disposer que d’une connexion de 24 kbits/s alors que de plus en plus de services publics ne sont accessibles que par internet ». Et Gérard Bailly de souligner qu’il reçoit de nombreuses lettres ou demandes d’entreprises, de mairies mais aussi d’agriculteurs: « leurs dossiers PAC sont transmis par internet. Il faudra aller dans les fermes ! » Les collectivités, initiatrices de nombreux réseaux d’initiative publique (RIP) doivent donc se saisir du dossier du très haut débit. Le sénateur du Jura affiche ici sa confiance: « on a réussi l’électricité, l’eau, l’assainissement… il n’y a aucune raison que nous ne réussissions pas le haut débit! »
De fait, le Conseil général, dans le cadre d’une délégation de service public, déploie actuellement un réseau de fibre optique fédérateur. « Toutes les villes de plus de 5.000 habitants seront desservies, explique Jean-Claude Servillat, conseiller général, pour permettre le dégroupage de l’ensemble des « centraux » (ou NRA – noeud de raccordement d’abonnés) de France Télécom ». D’ici quelque six mois, 95 à 96% de la population devrait avoir accès à des offres ADSL dégroupées et concurrentielles. Il faudra aller plus loin, poursuit-il, vers le très haut débit : la fibre chez l’abonné (particulier ou entreprise). C’est une « vision porteuse d’avenir car elle dessine de nouvelles opportunités industrielles, de nouveaux services, y compris les services publics ». Dans cette perspective, il se félicite de la coopération qui se noue entre le département et le Sidec, propriétaire des réseaux de distribution d’électricité. Après avoir investi pour mettre fin à la première fracture numérique, celle du haut débit, il est logique de se pencher sur la deuxième fracture numérique qui se profile, celle du très haut débit.

Comment maîtriser les coûts ?
Premier enjeu : la maîtrise des coûts, les réseaux supposant d’importants investissements, notamment en génie civil.
Pour Jacques Pélissard, député-maire de Lons-le-Saunier et président de l’Association des maires de France, deux pistes se dessinent : d’abord, celle d’un fonds de solidarité national, « à l’image du Facé, au profit des territoires les plus fragiles », idée portée par l’AMF, l’ARF, l’ADF et l’Avicca. Ensuite, la réduction des coûts de génie civil, « une idée tout à fait pertinente de la FNCCR« , lesquels représentent 50 à 80% du coût total du THD.
Jean-Michel Jeannin, directeur du Syndicat intercommunal d’électricité de la Côte-d’Or (Siceco), indique à ce titre un surcoût de 10 à 15 euros pour la pose de fourreaux dans le cadre de travaux d’enfouissement mutualisés. A comparer aux 30 à 50 euros que représente la pose de ces mêmes fourreaux dans un chantier spécifique : un rapport de un à trois… Le cadre juridique, observe-t-il cependant, n’est pas encore véritablement défini, qu’il s’agisse de la propriété des équipements ou de leur exploitation future. Les travaux de la FNCCR, relayés par ses adhérents parlementaires, doivent permettre de stabiliser ces questions « pour faciliter les synergies ».
Tel est l’objet des amendements portés par Xavier Pintat, sénateur de la Gironde et président de la FNCCR, souligne Pascal Sokoloff, directeur de la FNCCR: « il s’agit de donner une base juridique à l’intervention des autorités organisatrices des services publics d’eau, d’assainissement et d’énergie, sans qu’elles aient forcément à se doter d’une compétence spécifique en communications électroniques ». Ce texte faciliterait l’apport de fourreaux, voire de chambres de tirages, pour faciliter l’arrivée de fibre optique, à des conditions de coûts remarquablement compétitifs. Autre possibilité d’économie importante : l’utilisation du réseau d’électricité aérien en basse et moyenne tension pour poser de la fibre optique. La FNCCR a élaboré une convention ad hoc avec ERDF qui a vocation à être déclinée par des accords locaux – à l’image de celui qui vient d’être mis en œuvre dans la Nièvre. Et ce dispositif, rappelle-t-il, est d’autant plus vertueux que l’opérateur télécom qui utilise les supports du réseau électrique s’engage à participer financièrement à l’éventuel enfouissement ultérieur et coordonné des réseaux, sous le contrôle des communes ou de leurs groupements.
Pour Jean-Michel Blancheton, directeur du Syndicat départemental d’énergies de l’Indre (SDEI), dans l’attente de la fibre optique, d’autres synergies avec le système électrique peuvent avantageusement être explorées. C’est le cas des courants porteurs en ligne (CPL) pour lesquels le SDEI a signé une convention avec la communauté de communes Cœur de Brenne. Jean-Bernard Constant, directeur des communications électroniques de Cœur de Brenne, se félicite de ce partenariat qui a permis de compléter une couverture du territoire en haut débit, également liée à un réseau Wifi. C’est « assez complexe à mettre en place », concède-t-il, car il faut des branchements dans chaque poste, des « répéteurs » tous les 50 mètres, ce qui induit une maintenance spécifique. Mais la technologie a l’avantage d’irriguer le monde rural et, constate-t-il, de favoriser l’émergence de nouveaux services : télé relève, domotique… Les CPL ont également été expérimentés dans la Nièvre, à Lormes, à l’initiative du Syndicat intercommunal d’énergie, d’équipement et d’environnement de la Nièvre, (SIEEEN), explique Guy Hourcabie, son Président. Si cette expérimentation a fait ses preuves sur le plan technique, elle a été victime de la position de France Télécom qui, après avoir indiqué que l’ADSL n’atteindrait pas ce secteur, l’a finalement déployé pour concurrencer l’offre CPL. « Economiquement, nous n’avons pas les moyens de lutter. Aussi l’expérimentation se terminera-t-elle d’ici la fin de ce mois ». Le SIEEEN a également favorisé l’équipement d’antennes GSM sur des pylônes, lesquels ont ensuite été dimensionnés pour permettre des liaisons Wimax, complémentaires au RIP du conseil général (NiverLan).

Une nécessaire mutualisation des ressources

Pour favoriser le déploiement à moindre coût de réseaux de fibre optique, la mutualisation des ressources s’impose. Cosignataire d’une proposition de loi relative relative au service public local du très haut débit, Gérard Bailly estime que la législation doit évoluer pour contraindre l’opérateur historique à transmettre les informations relatives aux fourreaux dont il dispose: « on demande une transparence complète, c’est-à-dire savoir ce qui existe et savoir ce que l’on peut en faire ». Pour Michel Chanel, premier vice-président du Syndicat intercommunal d’électricité du département de l’Ain (SIEA), il convient de dresser l’inventaire des différents types de fourreaux exploités par France Télécom: ceux datant d’avant 1996 et financés en totalité ou en partie par les collectivités locales, ceux datant d’après 1996 qui ont également bénéficié de l’intervention des collectivités. « Les conditions d’occupation des fourreaux être redéfinies, martèle-t-il. Ceux-ci doivent être remis à disposition des collectivités, dans une logique d’intérêt général ». Daniel Bonnet, directeur régional de France Télécom estime que son entreprise « applique les règles définies par l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep) et la Commission européenne ». Et « l’ouverture des fourreaux doit se faire dans la réciprocité! »
Dans l’immédiat, d’autres solutions de mutualisation se dessinent. La mise en œuvre de la convention FNCCR – ERDF dans la Nièvre a ouvert la voie à l’utilisation des réseaux électriques basse et moyenne tension. « Cela concerne un premier tronçon de 8,5 km, se félicite Guy Hourcabie, et les travaux se déroulent bien » (cliquez ici pour consulter le compte-rendu d’une visite de chantier à Saint-Pierre-le-Moutier et Chantenay-Saint-Imbert, le 11 juin dernier). La réduction des coûts par la mutualisation des ressources est aussi un des éléments-clefs de la construction et du développement du réseau Lumière à Besançon, il y a près de 15 ans. Porté par plusieurs collectivités (ville, département, région…) et services publics (hôpitaux, universités…), il a bénéficié d’infrastructures diverses et nombreuses : égouts visitables, gaines du plan câble, réseau d’éclairage public et, glisse Denis Grandvuillemin, directeur adjoint au TIC de la ville de Besançon, « la pose systématique de fourreaux lors de tous travaux de voirie ». Les réseaux d’égouts sont certes utilisables, tempère Laurent Coty, ingénieur au service de l’assainissement, mais « certains sont visitables et d’autres non visitables ». Un inventaire s’impose. Il faut tenir compte de contraintes spécifiques : impact des orages, maintenance – qui peut parfois imposer de déposer les ouvrages. Il renvoie à ce titre à la lecture du guide pratique des galeries multi-réseaux. Si cet exemple est spécifique, car lié à un milieu urbain, il impose cependant des pistes de réflexion : l’eau et l’assainissement sont des réseaux publics présents dans toutes les communes, observe Alain Mathieu, directeur du Sidec. On est au cœur de la problématique, celle de la « nécessaire synergie entre tous les services publics ». C’est le principe qui a guidé le SIEA dans son projet de construction d’un réseau très haut débit dans 43 communes (et 80.000 habitants) de l’est du département de l’Ain. Pour un investissement de l’ordre de 15 millions d’euros le Syndicat prévoit de construire 300 km de réseau, en utilisant largement son réseau de distribution publique d’électricité. Le coût, indique Michel Chanel, premier vice-président du SIEA, est en effet de l’ordre de 30 euros du mètre linéaire, bien moindre que celui d’un tracé qui recourrait au seul génie civil.
Cet exemple illustre le « formidable enjeu d’aménagement numérique du territoire pour les 15 ans à venir, confirme Alain Mathieu. Il faut aller du haut débit (les réseaux d’initiative publique – RIP) au très haut débit : la fibre jusqu’à l’abonné ». Le modèle économique des RIP, basée sur un accès à 2 Mbits/s doit être complété par un autre modèle économique, basé sur un accès à 50 Mbits/s. Dans le Jura, l’utilisation des réseaux électriques pourrait conduire à un bâtir un projet de l’ordre de 150 millions d’euros.
Face à de tels investissements, pour réduire les coûts, la question de la péréquation doit être posée. A nouveau, la référence au FACE s’impose. Il convient de « réfléchir à un fonds d’amortissement des charges de desserte numérique, observe Guy Hourcabie, pour que le mulot des villes puisse soutenir le mulot des champs ». Pour Pascal Sokoloff, il importe de réfléchir à une double assise géographique de la péréquation. Pour favoriser l’efficacité de la mutualisation et de la cohérence des réseaux d’initiative publique, « le bénéfice de l’accès à un fonds de péréquation national pourrait être lié à la mise en place, à l’initiative locale, d’une péréquation départementale ou interdépartementale », avec un système qui s’apparenterait à un bonus-malus.

Des propos bien reçus par Hervé Claudet, chargé de mission TIC du SGAR (Secrétariat général pour les affaires régionales) Franche-Comté, qui s’est engagé à les faire remonter au gouvernement. « Il faut aller vers une mutualisation départementale ou régionale des ressources, a-t-il conclu, tout en évaluant l’attrait de nouvelles techniques de déploiement », à l’image des possibilités offertes par les réseaux d’électricité.

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Illustration: pose de fibre optique sur réseau électrique basse tension dans la Nièvre (chantier Axione, Niverlan, convention SIEEEN, ERDF, Nivertel).