L’AARHSE et la FNCCR ont publié une synthèse des débats du petit déjeuner consacré à « l’autoconsommation, l’autre transition énergétique ? », le 7 juin dernier.

Y participaient :
– Richard LOYEN, Délégué général d’Enerplan ;
– Dominique JAMME, Directeur des réseaux, Commission de régulation de l’énergie ;
– Sophie PEHLIVANIAN, Historienne, spécialiste de l’histoire du solaire en France ;
– Sven RÖSNER, Directeur de l’Office franco-allemand pour la transition énergétique (OFRATE).

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Brève histoire du solaire en France

Sophie Pehlivanian est historienne. Lauréate du prix de l’AARHSE 2015, elle a soutenu une thèse consacrée à l’histoire du solaire en France.

Historiquement, l’énergie solaire relève d’abord de l’utopie avant de devenir une technique. « Dès les années 1880, des romans d’anticipation évoquent des villes fonctionnant entièrement à l’énergie solaire. » En 1940, un chercheur au CNRS, Félix Trombe, s’intéresse au thermique pur. Il construit un premier four solaire en 1946, procédé qui aboutira à la construction de celui de Mont-Louis en 1949, puis à celui de Font-Romeu dont les travaux débutent au début des années 1960. Après création d’un laboratoire dédié au CNRS, les premiers projets sont lancés ; d’autres laboratoires suivent. Au même moment, aux Etats-Unis, sont construits les premiers objets solaires, tels les transistors. Dès la fin des années 1950 et tout au long des années 1960, c’est au tour de la recherche de pointe, notamment spatiale, de s’intéresser au solaire. La décennie suivante, celle des utopies contestataires, voit la création d’un mouvement écologiste opposé au nucléaire, qui promeut l’énergie solaire. Mais, parce que celle-ci n’est pas encore mature, ces militants mettent au point leurs propres systèmes pour produire de l’électricité ou de l’eau chaude. Par exemple, le dessinateur Jean-Marc Reiser équipe sa propre maison (archive INA du 19 juin 1979). Et ses personnages s’interrogent :

 

 « – L’énergie solaire n’est pas prise au sérieux, pourquoi ?

– Parce qu’elle est gratuite. »                                

 

 

L’autoconsommation se développe

Hier utopique, militante, l’autoconsommation devient aujourd’hui une solution commerciale comme une autre.

Pour Richard Loyen, délégué général d’Enerplan, « le prix de l’électricité solaire continuera de baisser dans les prochaines années. Produire localement s’avèrera de plus en plus compétitif », bien davantage que la production centralisée. » A ce contexte économique favorable s’ajoutent des solutions techniques matures : « Le soutirage utilise le digital. Avec Linky, on a désormais un compteur qui gère à la fois les entrées et les sorties et qui communique». « Produire au plus près des besoins devient pertinent », même si « c’est encore marginal, avec à peine 0,06 % de la consommation. Le micro photovoltaïque dans la maison individuelle neuve concerne à peu près 20.000 foyers. »

  Mais, observe-t-il, le marché du tertiaire (agriculture, industrie, services) monte en puissance, comme le montre le dernier appel d’offres de la Commission de régulation de l’énergie (2 tranches de 20 MW attribués, 450 MW à pourvoir d’ici 2019), qui a été attribué avec moins de 2 centimes d’euros d’aides publiques par kilowattheure ! »

 

Grande distribution : coïncidence entre la production et la consommation

Les appels d’offres de la CRE ont montré l’intérêt de la grande distribution pour le photovoltaïque, observe Gauthier Dienyi, responsable du développement photovoltaïque chez Green Yellow (Casino). Auparavant réticents à installer des panneaux pour vendre l’électricité, car cette activité était considérée comme externe à leur cœur de métier, avec l’autoconsommation, ils franchissent le pas très aisément. « On parvient à 100% d’autoconsommation et celle-ci couvre 20 à 25% des besoins. Il y a coïncidence entre la production et la consommation », car les horaires d’ouverture sont ceux de l’ensoleillement. « Le nouvel arrêté tarifaire en guichet ouvert depuis début mai sera favorable aux petites puissances (moins de 100 KW). Il permet de choisir entre injection et autoconsommation, sachant que, dans ce dernier cas, il y a une subvention à l’investissement pendant les 5 premières années. »

 

 

Des coûts en diminution

En effet, alors que « le prix de l’électricité centralisée va augmenter », estime-t-il, « on peut aujourd’hui produire de l’électricité à 10-12 centimes le kilowattheure. Ajoutez quelques crédits FEDER pour diminuer le Capex pour les bailleurs sociaux et, même en incluant le Turpe, vous produisez de l’électricité à moins de 10 centimes le kWh. On peut le proposer à des ménages précaires à un prix garanti pendant 20 à 30 ans. Cela, aucune autre filière ne peut le faire. »

 

Le stockage mature d’ici 5 ans ?

Le stockage coûtait 1000 euros le kWh il y a 5 ans, indique Richard Loyen. Son coût évolue aujourd’hui entre 350 et 400 euros, mais on l’annonce aux alentours de 100-120 euros. » Avec, en outre, la deuxième vie des batteries de véhicules électriques d’ici 2020-2022, autre sujet émergent, le couple autoconsommation-stockage est amené à croître parce qu’il sera tout simplement « rentable. » Et, surtout, « il y a une industrie du recyclage de batteries à construire. »

 

Quelle péréquation pour l’autoconsommation ?

Dans sa délibération du 13 avril 2017, la CRE pose la question du modèle de l’autoconsommation dans la péréquation nationale. Pour Dominique Jamme, conseiller spécial du Président de la CRE, il existe en effet d’importantes questions concernant l’articulation de l’autoconsommation au modèle de péréquation. Il convient de s’interroger sur la cohérence d’ensemble du soutien public à cette pratique, afin de ne pas générer d’effet d’aubaine. Mais c’est aujourd’hui une pratique « tellement minoritaire que personne ne peut en voir l’incidence financière à terme ». Pour l’anticiper, la CRE mènera une large concertation avec, dès juillet 2017, l’organisation d’un forum, qui ne se limitera pas à ce seul sujet, puis elle lancera une consultation publique à la fin de l’année et, la définition d’un « TURPE autoconsommation  qui pourrait entrer en vigueur le 1er août 2018. », pour lequel la CRE regardera la réalité des coûts. S’agissant des taxes, il rappelle qu’il appartient aux pouvoirs publics de faire ou non évoluer l’assiette. Richard Loyen, plaide pour une réflexion qui, par-delà le cadre actuel de la péréquation nationale, s’élargirait à la péréquation locale. Il convient aussi de mettre en balance les moindres recettes avec les coûts évités (renforcement du réseau…). « L’autoconsommation couplée au stockage permet l’agrégation d’effacement et crée de la valeur. »

De la salle, Jean Pierre Hauet, consultant, évoque le coût marginal désormais très faible des énergies renouvelables. « Il y a beaucoup de taxes assises sur le kWh. Or la puissance devient essentielle ? Ne faut-il pas revoir les modèles tarifaires ? Cela est déjà le cas dans les télécom où l’on paye un forfait. » Dominique Jamme observe que, s’agissant du TURPE, l’approche de la CRE « consiste à appréhender la réalité des coûts. Le réseau français est dimensionné pour passer la pointe.  

Rappelant que l’ensemble des puissances souscrites en distribution en France donne une puissance de 300 GW mais que la pointe nationale s’établit à 100 GW, il observe que « cela témoigne de l’importance du foisonnement des usages. » La question de la maîtrise de la pointe reste très importante avec, par exemple, une tarification plus élevée en heure de pointe (horosaisonnalité). Attention à ne pas avoir une tarification qui fasse disparaître le signal prix ! ».  L’enjeu est de s’assurer que « les réseaux publics sont optimisés et aussi de prendre en compte le montant de la facture des non auto-consommateurs. »

 

Emergence d’un nouveau cadre juridique

Aujourd’hui, la loi du 24 février 2017 et le décret du 28 avril 2017 ont fixé l’encadrement juridique de l’autoconsommation collective. Il reste encore à construire un éventuel TURPE dédié, et à bâtir le modèle contractuel. « Enedis est en train de préparer ses conventions avec les personnes morales, définissant les règles entre producteur(s), consommateurs et GRD. On est dans un contrat de long terme, précise Richard Loyen, qui salue un « vrai changement de culture dans l’entreprise », le distributeur se muant en « facilitateur de l’autoconsommation. »

 

En Allemagne, un système plébiscité

« L’autoconsommation en Allemagne compte pour 10 % du mix électrique », détaille Sven Rösner, directeur de l’Office franco-allemand pour la transition énergétique (OFATE). Cela concerne surtout les particuliers. Il existe un mécanisme de soutien, assez peu incitatif car s’établissant à 12 c€ le kWh lorsque le prix du kWh global se situe entre 26 et 28 centimes. « L’autoconsommation est donc davantage synonyme d’économies pour les ménages. » Ces derniers disposent également de « batteries raccordées au réseau, avec l’engagement de les recharger » pour contribuer à l’efficience du système. Porté par l’Etat, un programme de soutien financier, allant jusqu’à 3000 euros, favorise l’acquisition de ces batteries, pour « augmenter l’autoconsommation, qui passe ainsi de 20 % pour les ménages avec des panneaux PV seuls, à un taux de 70/80 %. Aujourd’hui 20.000 batteries sont vendues chaque année, à comparer aux 10.000 voitures électriques immatriculées durant la même période. Qui plus est, deux tiers des batteries est installé sans soutien financier, pour des raisons administratives et de délais, en général. « C’est un sujet très geek. Si vous êtes invité chez quelqu’un, il va montrer sur son smartphone sa dose d’autoconsommation et l’état de recharge de sa batterie ! »

Malgré son coût élevé, la transition énergétique très apprécié : « 92 % de la population est favorable. » Si l’on compte quelque au total 2 millions de centrales  chez les particuliers, « l’autoconsommation dans le tertiaire n’a pas connu la même dynamique car le calcul économique est moins favorable. » Le dispositif de soutien est faible : mieux vaut opter pour les « tarifs d’achats d’énergie verte en gros. C’est plus rentable économiquement. »

 

Interrogé sur le coût du soutien allemand à la transition énergétique, Sven Rösner le relative, mettant en avant que « 400.000 personnes ont trouvé de l’emploi grâce aux énergies renouvelables. » tout en soulignant son impact industriel : « J’étais la semaine dernière au salon InterSolar, où beaucoup d’exposant allemands sont présents. Nous étions nombreux à nous demander pourquoi la France y était si peu représentée. La France est un pays avec des ingénieurs qualifiés, des industriels… Elle a les atouts nécessaires au développement de cette filière. »

 

 

Le compte-rendu est téléchargeable en PDF ici.

© AARHSE-FNCCR 2017